Tout le monde est fâché en Côte d'IvoireINVESTIGATION 

ACCORDER DU PRIX  À L’ESPRIT POUR LA LIBERTÉ, LE PROGRÈS ET LA PAIX

L’esprit,  immatériel et invisible, se rattache à la raison, au jugement et au discernement. Il constitue le tiers culturel essentiel et substantiel pour inventer, innover et vaincre la force aveugle, brutale, la violence destructrice. En démocratie, c’est la force des arguments qui doit triompher et non l’argument de la force, pour que vive le peuple dans la liberté et la dignité.

La démocratie se nourrit de débats et autres interventions publiques à travers le développement et le déploiement d’idées, d’arguments, de symboles et autres signes. Elle vise à susciter l’adhésion de la majorité du peuple à  un projet de société, à décliner en programme de gouvernement. La confrontation des idées induit la bataille de l’esprit dont la force de frappe redoutable réside en la puissance tribunicienne , « un soft power », pouvoir de persuasion.  Le respect de la démocratie légitime le pouvoir institutionnel et crée un climat de confiance favorable à la mobilisation nationale, pour le progrès, le développement durable et la cohésion sociale. 

Pour la Côte d’Ivoire, entre autres, l’esprit démocratique lié à la pratique du multipartisme ne paraît pas suffisamment intégré par les gouvernants, de tous les temps. Les mœurs politiques, institutionnelles et administratives ivoiriennes ont connu une évolution inversement proportionnelle à la trajectoire de la tradition universelle de la modernité,  en matière de gouvernance.

La culture démocratique doit être soutenue par une dynamique de communication constructive. Ainsi, discipliner la parole politique, parole publique, devient une exigence pour le bien de tous. S’élever au-dessus des contingences par la culture du droit et de l’éthique, le respect de la parole donnée, le jugement de l’histoire, tel apparaît le viatique pour faire vivre une nation dans la quiétude !

Par ailleurs, la valeur des efforts de réflexion préalable se présente peu élevée et ne permet donc pas une inscription dans la durée, le souci de la préservation, la continuité.

Le devoir de transmission est une nécessité pour renforcer la chaîne des générations. Penser à la postérité traduit un sentiment noble et un devoir sacré dignes des grands serviteurs. Le changement des mentalités s’impose pour  promouvoir la paix et entrer véritablement dans un processus de développement ordonné, sur la base de la créativité, l’inventivité, la transformation et la compétitivité, donc le progrès. Les travaux routiers entrepris, même utiles en comparaison avec d’autres expériences, entrent-ils réellement dans une rationalité d’aménagement du territoire harmonieux ?

Au demeurant, la paix est indispensable pour la réalisation, la jouissance et la préservation des acquis. Que de temps pour construire un ouvrage, mais peu de temps pour le détruire ! Au surplus, en privilégiant l’esprit, les protagonistes restent attachés à des valeurs, se respectent, se tolèrent et se préservent. Ils sont même en mesure d’observer parfois une trêve, si les circonstances l’exigent, pour se concerter,  en raison de l’intérêt national, un intérêt supérieur à  leurs intérêts respectifs opposés ou concurrents. Mais, dans un pays comme la Côte d’Ivoire où la réalité dépasse souvent la fiction, la société ne peut qu’être habitée par le syndrome du mythe de Sisyphe, l’éternel recommencement, condamnée à l’absurde. Sisyphe sera t’il heureux un jour ? Possible, s’il se produit une conversion individuelle et collective dans la nation, notamment la classe politique.

Faute de préparation et de formation de ses animateurs, notre État est devenu en permanence un adepte de la confusion des genres entre gestion privée (patrimonialisation)  et gestion publique (institutionnalisation), entre politique et administration. La société politique ivoirienne, si elle existe réellement, manifeste une propension à produire des acteurs de type balzacien. Ceux-ci sont à l’image du personnage de Rastignac, archétype de l’arriviste prêt à tout pour parvenir à ses fins, pour des intérêts plus personnels que publics. Il est tout de même surprenant  que dans un système politique de séparation des pouvoirs et de multipartisme, un individu soit à la fois député à l’Assemblée nationale (Législatif) et directeur  ou directeur général d’Administration (Exécutif) et même responsable d’un organe de parti politique. Il s’observe ainsi un déficit d’éthique, de décence, de discipline et de respect pour l’État, le peuple et la nation.

La Côte d’Ivoire est un grand pays dont le peuple n’a pas assez pris conscience de sa valeur. Ce peuple et ses dirigeants ont été victimes d’une anesthésie collective, due à un excès de stabilité incarnée par la présence de son premier Président, Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, à  la tête de l’ État sur une longue période, soit trente trois (33) ans, de 1960 à sa disparition en 1993. La recherche effrénée de gains personnels ou corporatistes a vaincu la conscience des citoyens au détriment de l’amour du pays et de l’engagement pour la nation. Le mental ivoirien est forgé dans le confort matériel et l’inclination à la banalisation en toutes choses.  Est-il, par conséquent, vraiment préparé à disposer d’une autonomie de pensée et d’une volonté ainsi que d’une capacité de prise en charge du destin national, de la base au sommet ?

L’Afrique s’en sortira le jour où les Africains cesseront d’être attirés, éblouis et manipulés pour le clinquant, les colifichets et autres oripeaux, des choses illusoires, comme du temps de la traite négrière. Sommes-nous vraiment habités par des gènes d’émancipation ? L’Afrique souffre énormément de l’activisme destructeur de flibustiers des temps modernes, étrangers et , étonnamment, africains! Dans une société où le matériel domine le discernement, le pays est généralement caractérisé par une fragilité déconcertante, souvent outragé et meurtri. C’est avec toujours pour le salut national,  au départ la foi, le sursaut et la détermination d’un nombre infime d’individualités sinon d’un seul individu. Ils ont pour mission messianique la défense de l’honneur et la  dignité, voire tout simplement la survie  et l’existence même de la collectivité.
Les pays africains francophones ne semblent pas être sortis du statut de  » mineur institutionnel et politique »,  contrairement aux États anglophones. En ont-ils réellement la volonté ?

La qualité des dirigeants renforce l’efficacité, la crédibilité et la légitimité de l’État.  Aussi, en République, il n’y a pas d’héritiers mais des capacités citoyennes à convaincre le peuple  pour accéder au pouvoir et l’exercer sur une durée déterminée, au bénéfice de la nation.
Les grands esprits œuvrent pour des résultats durables et structurants. La constitution américaine date de 1787,  celle de la Cinquième République en France de 1958.

L’Union européenne défend et veille à la promotion de la démocratie dans ses États membres. La CEDEAO serait bien inspirée de mener aujourd’hui une réflexion globale,  en vue de l’élaboration d’un plan de « Stabilisation Sociopolitique et de Relance Démocratique  » pour l’Afrique de l’Ouest.
Quand l’esprit est d’une faible intensité, l’on reste dans l’émotion. Or, pour avancer tout en étant attaché à la mémoire pour la transmission, il convient de sortir de la nostalgie du passé, pour prendre véritablement un pari sur l’avenir. L’esprit forge le caractère, le courage et la force morale. Il rend possible l’actualisation de soi par la capacité à se remettre en question et se redresser.

L’esprit, par « l’éclat des idées » (Robert   Badinter), éclaire toujours pour l’éveil ou le réveil en vue de la liberté, l’élévation et le progrès. Il s’agit bien du sort de populations, de personnes humaines avec leurs préoccupations et leurs aspirations, qu’il faudrait sauver, faire vivre et prospérer, dans la dignité et la quiétude. Des personnes éduquées peuvent accepter d’être dirigées dans un cadre de valeurs et de règles, mais pas d’être gérées comme des objets.

Aussi, la fraternité et la solidarité sont deux valeurs qui constituent le ferment de l’unité. La communion des communautés doit être encouragée, promue et entretenue pour l’avènement d’une identité nationale dynamique et intégratrice, inscrite dans une tradition de l’universalisme,  » la patrie de la vraie fraternité ». Mais peut-on arriver à l’universalité en ligne directe sans perdre son âme ?

La Côte d’Ivoire, nourrie à la sève de la fraternité, voudrait pouvoir vivre pleinement la solidarité nationale en son sein et celle légendaire avec les pays environnants. Elle espère  reprendre son rôle de gendarme de la paix en Afrique et messagère du dialogue pour la paix dans le monde, la concorde entre les peuples. Alors, le pays s’impose le devoir impérieux d’interpeller ses acteurs politiques : << Rendez-moi mon histoire ! >>, qui devrait s’écrire non en lettres de sang mais en lettres d’or.

Le monde a plus besoin d’artisans politiques, que d’acteurs de  théâtralité politique, réellement des leaders porteurs d’idéaux de paix, de liberté et d’épanouissement humain.

Avril 2023
                 Pierre AYOUN N’DAH
                 Docteur en Droit public
              Ancien Professeur à l’ENA Abidjan 
                 Expert en Management public 

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