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Côte d’Ivoire: Destin entre matière et esprit

Naturellement et simplement, pour résoudre une équation, il faut en connaître les données, surtout les causes. Sinon, on reste dans la spéculation, l’élucubration. Quelles pourraient donc être les données de l’équation existentielle ivoirienne aujourd’hui ? En tant que citoyens, nous les chercherons ensemble si nous voulons trouver des solutions ensemble, pour un bénéfice commun. 

Des institutions et organisations nationales publiques, celles de de la société civile devraient savoir comment faire, quel chemin emprunter pour parvenir à une mise en commun des efforts pour des résultats partagés. Parce que les actions devront être endossées, assumées et mises en œuvre ensemble. C’est un cheminement essentiel.

La vertu d’une communauté, c’est de garder son passé en mémoire, de réfléchir et d’agir sur son présent et de planifier son avenir. Les anciens Grecs, inventeurs de la politique, de la République et de la démocratie, dans leur grande sagesse, avaient investi dans la connaissance de l’ESPRIT et de la MATIÈRE, les deux gouvernails et moteurs de la société.
La MATIÈRE appelée EPITHUMIA porte sur le désir, le matériel, la convoitise, l’appétit, l’appétence, la passion, l’émotion, la déraison, le sensuel, le vice, la chair, le charnel, etc.

L’ESPRIT appelé NOŪS désigne la tête, la raison, la rationalité, le rationnel, la réflexion, le discernement, la perspicacité, la discipline, la dignité, l’honneur, la vertu, le spirituel, etc. Chez nous, il est temps d’entrer dans une interrogation de recherche, longtemps nous nous sommes contentés de rester dans le doute. Le pays a formé de grands intellectuels, des spécialistes dans l’étude des sociétés et des hommes (Sciences sociales et humaines), c’est-à-dire des sociologues, psychologues, anthropologues, psychanalystes, historiens, juristes, politologues, économistes, etc. Ces éminents sachants et pratiquants, pour la nation pourraient mener une réflexion commune portant sur:
– l’âme de la société ;
– le caractère du peuple ;
– la constitution de l’État ;
– l’alchimie de la nation.

Au demeurant, l’ASCAD (Académie des Sciences, des Arts, des Cultures d’Afrique et des Diasporas Africaines), fondée en septembre 2003 à Abidjan, nous paraît bénéficier d’une autorité morale suffisante et d’une légitimité avérée pour prendre une telle initiative d’intérêt national majeur. 

La question des « 3000 Docteurs non recrutés » nous interpelle tous et nous situe par rapport à la valeur de l’instruction, l’éducation, la formation, la pensée et l’intelligence dans notre société. Le problème est très sensible. C’est bien l’âme et l’esprit d’une nation qui sont en jeu. Il s’agit d’un enjeu de promotion d’une industrie nationale du savoir et du savoir-faire pour le développement, donc sur le long terme. A quoi un peuple peut-il s’attendre raisonnablement quand il vit constamment au présent sinon dans l’instant ?

Le mal qui ronge notre pays est ancien et profond. Il est donc temps de travailler en profondeur, pour proposer des solutions innovantes et courageuses  aux effets durables. Cela est d’autant plus nécessaire que notre classe politique, qui devrait en principe nous porter vers un haut idéal, a depuis longtemps et largement été une usine de fabrique de thuriféraires, porteurs d’encensoir. Leurs déclarations et gesticulations sont de nature à abaisser la crédibilité nationale, tout en desservant l’État et en décevant les populations, dans une éternelle attente.

A vrai dire, il faut connaître et comprendre l’État -Institution- au service de tous, pour mieux le servir. L’État ne doit pas être une source de captation de ressources à des fins personnelles ou partisanes  pour l’asservir. Tout est dans le mental.

Au lendemain des résultats du premier tour d’une élection présidentielle, un responsable politique avait déclaré sur une radio internationale :  » Notre candidat est arrivé en tête, premier. M. X, son adversaire, sera proprement battu. Comme ça, tout le monde saura que la Côte d’Ivoire a un propriétaire ! » Ah oui ! Une vision patrimoniale et non républicaine du pouvoir d’État !

On oublie généralement dans ce pays qu’il existe un peuple souverain détenteur du pouvoir politique, qu’il ne fait que déléguer à des représentants  conformément à des procédures spécifiques instituées et, normalement,  encadrées. Aussi, en régime démocratique  le privilège de la naissance ouvre toujours des perspectives sur un fond d’ambiguïtés, comme au: « bal des hypocrites », avec plusieurs inconnues. Alors, cessons d’agresser la conscience de ce peuple et respectons le ! Peuple infantilisé et pris pour quantité négligeable dans la gestion de son propre destin ! Historiquement, le droit constitutionnel français nous rappelle l’épisode de la crise  du 16 mai 1877, Mac-Mahon/Jules Simon ou monarchistes contre républicains, sous la troisième République. De ce conflit politico-institutionnel est sorti renforcé le peuple dans l’affirmation de sa souveraineté.

Nous osons croire en la bonne foi de nombre de nos acteurs politiques. Toutefois, si les élections de 2023 et 2025 se déroulent comme celles de 2018 et 2020, alors nous devrions sérieusement nous interroger sur notre esprit de discernement et notre degré d’humanité.

Retournons à la sagesse de nos anciens Grecs. De la confrontation entre le NOŪS et L’EPITHUMIA dépend largement le sort d’une société.

Si l’EPITHUMIA l’emporte, la société reste pervertie, vulnérable et à la merci de toutes les tentatives et velléités d’asservissement, avec des sentiments d’inquiétude et d’incertitude permanents. Lorsque le NOŪS triomphe, la société se révèle vertueuse, inventive, créatrice avec des réalisations solides qui s’inscrivent dans la durée, pleine de promesse et d’avenir. L’éthique protège cette société des risques de déperditions et de dérives.

Quelles ont été les réactions des présidents des Conseils régionaux, individuellement et collectivement, quelle que soit leur obédience politique, après la modification du dispositif institutionnel national de la décentralisation, en créant en 2021 douze (12 ) districts autonomes, en plus de ceux d’Abidjan et de Yamoussoukro ? Epithumia et Noūs!

En rapport avec l’environnement mondial, l’enjeu pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique serait l’organisation des relations entre marché, démocratie, sécurité et humanité.

Le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY avait une connaissance exceptionnelle des forces qui gouvernent le monde, celle des interstices de la société et du ressort de la personne humaine. Malgré  tout, des dysfonctionnements de divers ordres liés à la nature même d’un long exercice du pouvoir politique, soit trente trois (33) ans, se sont produits. Il  revenait à ses successeurs de les corriger subtilement et courageusement.

Au final, le premier Président ivoirien aura su et pu gouverner le pays avec  discernement et sagesse, pour réaliser de grands équilibres ayant assuré la stabilité de l’édifice national et construit la paix durablement.  Le monde a évolué considérablement. Il s’agit plus que jamais de prendre résolument un pari sur l’avenir et non, pour le peuple,  se complaire dans une nostalgie du passé. À quelle échelle la Côte d’Ivoire dans sa globalité se trouve t’elle aujourd’hui, par rapport à la modernité politique? 

Avec quelle vision et quelles valeurs entend t’elle susciter des retombées en faveur  de ses populations et celles de son environnement  immédiat, pour l’équilibre régional ouest-africain ?

14 septembre 2022
           Pierre AYOUN N’DAH
           Docteur en Droit public
          Ancien Professeur à l’ENA d’Abidjan 

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