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Côte d’Ivoire: Quel sens donner à la réconciliation nationale ?


« Nous ne devrions donc pas être là à attendre qu’une occasion se présente. Nous devrions faire que l’occasion se présente. L’idée de réconciliation est intimement liée à celle du vœu. La réconciliation est basée sur la pérennité des célébrations du vœu. » 

C’est ainsi que les initiateurs de la réconciliation nationale en Afrique du Sud fondent l’idée noble de la réconciliation. Nous devons nous en inspirer pour refonder la Côte d’Ivoire. A l’instar de l’Afrique du Sud, même si notre histoire n’est pas exactement la même, nous devrions aussi dire que l’idée de la réconciliation est intimement liée à celle de la survie des peuples qui composent notre pays. La réconciliation doit être fondée sur la pérennité des célébrations de la reconnaissance réciproque et intuitu personae de toutes les composantes vivant sur le territoire national hérité de la colonisation.   

L’analyse de la situation doit être centrée sur deux concepts : le concept de vérité et celui de réconciliation. Nous y reviendrons un peu plus loin dans notre propos. C’est l’intégration, la compréhension de ces deux concepts qui permettra nous osons l’espérer à chaque ivoirien d’accepter la catharsis dont nous avons besoin pour guérir, purifier notre âme et chasser en chacun de nous l’esprit de la vengeance. 

En nous appropriant cette assertion de l’immense historien René Remond, « comprendre son temps est impossible à qui ignore tout du passé », nous estimons indispensable de faire un bref rappel de la trajectoire sociopolitique de notre pays. En effet, le débat sur l’appropriation de notre destin collectif est une demande récurrente non satisfaite. Nous avons vécu et nous vivons encore dans une société où l’image et l’exubérance prime sur l’explication et la pédagogie. En 1990, le multipartisme instauré change fondamentalement la donne politique. Cette nouvelle pratique politique va engendrer un repositionnement de l’élite politique. Ce repositionnement se fonde sur l’appartenance ethnique et/ou confessionnelle dévastateur pour la concorde et la cohésion nationale. L’irruption de l’armée sur l’échiquier politique vient désormais compliquer la donne. De cette période tourmentée de l’après Houphouët-Boigny nait des pratiques politiques les plus honnies : la violence, le replie sur l’ethnie et/ou l’appartenance religieuse deviennent la règle. Le coup d’État des 24 et 25 décembre 1999 verra apparaître pour la première fois un régime militaire (éphémère) le CNSP. Une culture de la violence s’installe peu à peu dans la vie quotidienne et dans les partis politiques. En octobre 2000, M. Laurent Gbagbo arrive au pouvoir par les urnes. Il l’emporte face au président du CNSP Robert Guéï. Le 19 septembre 2002, une tentative de coup d’État échoue et une rébellion se forme et se cristallise ; celle-ci divise le pays en deux. Plusieurs tentatives de réconciliation nationale sous l’égide de la CEDEAO, de la France, de l’UA et de l’ONU restent vaines.

L’évènement le plus significatif est la fête de réconciliation organisée à Bouaké le 31 juillet 2007. Rien n’a non plus été réglé. Toutes les conférences qui devaient aboutir à la paix ont connu des issues malheureuses tant les positions de part et d’autre demeuraient figées. Cependant, les facilitateurs des institutions internationales appellent et s’impliquent dans l’organisation de l’élection présidentielle de novembre- décembre 2010 dont l’objectif affiché est de sortir de la crise politico-militaire qui n’en finit plus. La crise qui s’en est suivie et dont nous vivons encore les ondes, poursuit hélas son cours traumatique et son lot de  drames quotidiens dans le pays tout entier.  Toute crise est inévitable et salutaire comme l’on dit souvent. Celle que vit notre pays est structurelle. Ses causes sont multiples. Leur identification est assurément l’une des conditions préalables à la proposition de solutions efficientes.

Comment sortir de cette spirale infernale ?

C’est à cette problématique qu’il convient désormais de répondre de manière sereine et intelligente pour une Côte d’Ivoire apaisée.

Avant de rechercher les voies et les moyens, il nous apparaît primordial de cerner le sens de l’expression « Commission Dialogue Vérité et Réconciliation ». Dans cette expression deux concepts sont à retenir : le concept de vérité et celui de réconciliation.   
Nous déclinerons d’abord l’acception de la vérité si tant qu’elle existe. C’est indéniablement une gageure. Le philosophe J. Williams a dit : « la vérité est une erreur en sursis ». Nous le savons. Mais nous appelons la vérité, les faits et  rien que les faits. Nous savons aussi que l’interprétation du réel dépend de la place qu’on y occupe.

C’est pour cette raison que tous ceux qui vont encadrer ce processus aussi bien les leaders d’opinions, les facilitateurs, les institutions et la CDVR doivent faire preuve d’impartialité, de sagesse et surtout d’imagination. Il s’agit de la reconstruction d’un destin collectif national. Cela demandera du temps, mais si les bases de cette maison sont saines alors, l’espérance sera permise. Il s’agit d’aller d’abord vers une cohésion nationale. Celle-ci ne passera que par une imagination féconde de tous les instants. Il est désormais interdit de ruser avec la vérité. « L’interdiction de vengeance et de représailles, la nécessité de reconstruire un nouveau tissu social et une nouvelle démocratie » pérenne sont les véritables enjeux de cette commission. L’exigence de découvrir la vérité doit primer sur la recherche de solutions. C’est à ce prix que l’exorcisme des esprits et des âmes et la liberté des cœurs peut s’opérer. C’est sans doute l’une des conditions de la catharsis que nous recherchons pour reconstruire l’unité nationale.

Le concept de réconciliation n’est pas non plus simple à appréhender. Il est toutefois essentiel de lui injecter un sens contextuel. Il signifie d’abord l’interruption de la récurrence des escalades de violence qui ont caractérisé la Côte d’Ivoire depuis l’avènement du multipartisme. La réconciliation signifie aussi un changement du rapport dialectique entre les différentes parties. Cela suppose un changement de langage car, le conflit, la haine et la guerre résident dans les mots. Les partis doivent créer les conditions de leur attrait intellectuel et politique selon l’expression de l’historien Pierre Kipré. Le rôle de l’éducation qui incombe en principe aux partis politiques et la défense de l’intérêt collectif sont absents des objectifs fondamentaux affichés. La crise de la pensée est une réalité affligeante.

Plusieurs observateurs de la société ivoirienne le constatent à travers la faiblesse et les contradictions multiples que révèlent des propos tenus par une certaine élite ivoirienne.  C’est donc à une autre culture que sont dorénavant invités les partis politiques car, la démocratie requiert entre autres la loyauté, le travail, le respect des règles établies et de la discipline comme vertu. La vengeance semble être le crédo de tous les protagonistes. Elle est le moyen de réaffirmation de soi et du prétendu pouvoir dont on dispose. Cette perception doit laisser place à la vraie réconciliation : le remplacement de la vengeance par le dialogue. C’est la démarche sans contexte qu’il faut adopter pour reconstruire un pays réunifié dans toutes ses strates. Quelques exemples historiques à travers le monde doivent nous éclairer et nous aider à réussir cette mission impérieuse.  

Il est important d’identifier d’où provient la discorde. Dans tous les pays qui ont connu ces graves crises, c’est d’abord la guerre idéologique qui fut le préalable à tout dysfonctionnement. Les élites politiques nationales ont l’impérieuse responsabilité d’aider le citoyen par la pédagogie à comprendre le sens du vivre ensemble. Les commissions de vérité et réconciliation à travers le monde ne sont pas des institutions juridiques. Ce sont des structures ad-hoc qui disparaissent au terme de leur mission. Ces commissions sont présidées par des personnalités de consensus. C’est même la condition essentielle de la réussite de la mission.    

En Afrique, les cas les plus notoires sont, l’Afrique du Sud (1995) et le Rwanda (1994). Au terme de mon propos, qu’il me soit permis de rappeler cette citation tirée des allocutions d’Houphouët-Boigny : « la paix n’est pas un vain mot, mais un comportement… » Cette assertion est si éloquente qu’elle interpelle chaque ivoirien à la vigilance de tous les instants. Sommes-nous suffisamment mûrs et prêts à conduire notre propre destinée collective ? Que le processus de réconciliation mis en place par les autorités ne soit pas entravé dans sa dynamique. 

Qu’il crée les conditions d’un dialogue véritable et sincère qui aboutisse à l’émergence d’une communauté de citoyens et d’une République des temps nouveaux.

Par Georges Toualy (Président de CREDCI)

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