La paix en Côte d'IvoireA LA UNE AFRIQUE 

CÔTE D’IVOIRE : VOLONTÉ DE PAIX DU PEUPLE ET SURENCHÈRE POLITIQUE

La montée des tensions dans le contexte des préparatifs des élections régionales et locales couplées du 2 septembre 2023 est manifeste et inquiétante. L’on doit, d’ores et déjà, interpeller les consciences à tous les niveaux:
– national, du sommet à la base ;
– international, de la CEDEAO à l’ONU. Les élections en Côte d’Ivoire, depuis 1995, sont devenues une source d’angoisses, de doutes et d’inquiétudes; des sentiments hélas confirmés par les faits, les événements.

Dans un État démocratique l’élection, une formalité et une normalité, représente une juste période de régulation sociopolitique, de renouvellement du personnel politique. Elle se solde, soit par la reconduction des gouvernants, soit par l’alternance, c’est-à-dire l’arrivée de l’opposition au pouvoir. Ce processus se déroule dans un système de jeu ouvert et pacifique, malgré les enjeux, parfois énormes. L’élection ne doit donc pas être transformée en une sorte de strangulation politique, absolument contraire à l’idéal de la gestion politique. Celle-ci consiste, en effet, en la promotion de la liberté, la sécurité, la paix et le développement.

La Côte d’Ivoire a vécu dans un système de monopartisme ou parti unique pendant trente ans de 1960, année de l’indépendance, à 1990. À l’occasion du 9ème Congrès du PDCI-RDA à Yamoussoukro, en octobre 1990, le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY avait recommandé le comportement à adopter dans le cadre de la gestion du multipartisme, restauré au mois  d’avril . Le Président : << Nous irons aux élections avec des opposants. Notre attitude envers l’opposition doit être loyale. La compétition entre les partis politiques doit se faire dans un cadre fraternel >>.

La FRATERNITÉ, valeur si chère au premier Président ivoirien, cultive le sentiment d’appartenance, la solidarité ou l’entraide et, le cas échéant, le règlement pacifique des différends dans la  concertation. Le recours au tiers, neutre et impartial, donc bénéficiant de la confiance de tous, peut être envisagé pour un arbitrage ou une offre de bons offices. Alors, pourquoi cette agitation malsaine des politiciens en Côte d’Ivoire depuis une trentaine d’années, dans  » la patrie de la vraie fraternité ? »

Le pays a traversé des crises très graves ayant entraîné des milliers de morts dont le sang a coulé sur notre sol. Que pourraient concrètement faire les autorités traditionnelles ainsi que les guides religieux, pour interpeller les consciences et conjurer le mauvais sort ? La caravane de l’histoire qui transporte la paix passe régulièrement devant la porte de notre nation, mais nous la laissons passer à chaque fois. Pourquoi ? La société ivoirienne ne réfléchit pas suffisamment sur elle-même, pour entrer dans la vérité et renforcer sa maturité politique. Elle ne peut donc pas être dans la connaissance et se consacrer à l’essentiel  dont notamment la vie de la nation, l’attachement au respect du bien commun, etc.

En toute objectivité et sans passion ni parti pris, gouverner vise à rassembler la multitude en faisant face à la gestion des différences dans la communauté nationale. Il s’agit de rechercher constamment l’équilibre entre les différentes composantes de la société. Cette orientation n’est possible que si le pays dispose d’une micro-société formée à l’idéal d’engagement au service du pays.

La société politique ou classe politique,  représente un système animé par des hommes et des femmes ayant une vision et des convictions, pour espérer faire appliquer démocratiquement leur projet de société, transformé en programme de gouvernement , en cas de victoire aux élections.
La société politique, cadre d’intervention des partis et groupements politiques, obéit à des règles établies dans son fonctionnement, écrites ou non, avec des codes. Elle est par nature conflictuelle, en raison même de la différence des idéologies ou tout simplement des représentations sociopolitiques. Les acteurs politiques se considèrent comme des adversaires-partenaires. Ainsi, ils se reconnaissent et se soutiennent même parfois, tout en luttant pour le triomphe de leurs idées respectives. La classe politique a conscience d’avoir un destin commun,  soumis au jugement du peuple souverain, ou lié aux vicissitudes de l’histoire.

Cette forme d’organisation ne fonctionne pas vraiment en Afrique, laissant la porte ouverte aux « caprices des princes », sans principes.
L’éthique de la responsabilité doit donc devenir l’énergie et la boussole dans l’exécution de la mission au service de la communauté nationale. De la sorte, l’on pourrait répondre de ses actes en cas de manquements à  ses obligations.

La gestion d’un État exige de la discipline pour les gouvernants par le respect des institutions. L’art de gouverner commande d’agir avec sagesse, subtilité, fermeté et vigilance. Le  Président HOUPHOUËT-BOIGNY aurait-il emporté  avec lui les vertus de la politique,  particulièrement la sagesse et l’amour du peuple ? << Le capitaine hors de l’eau….>> Alors, faudrait-il, certainement, le « ressusciter » pour le bien de tous, politiciens et populations ?

La façon de faire la politique en Côte d’Ivoire, depuis trois  décennies, est en-deçà de l’idéal de promotion de la démocratie et de l’impératif de construction d’une société de liberté, de responsabilité et de solidarité nationale. Tout devrait se dérouler en obéissant à la règle de droit et à l’éthique républicaine. Dans ce cadre, le rôle des autorités de régulation et des élections ainsi que des juridictions, dernier recours pour l’ordre, la démocratie et la paix,  demeure sensible et crucial.

Au-delà de ces considérations formelles, la réalité de la vie politique ivoirienne suscite des interrogations. La classe politique a-t-elle réellement conscience qu’elle a le devoir de travailler en symbiose, pour le bonheur du peuple, malgré et justement par l’adversité politique ? Cette configuration politique permet au peuple d’avoir le libre choix de ses dirigeants. Elle offre aussi la possibilité pour l’opposition de porter des critiques sur l’action gouvernementale et plus largement le pouvoir exécutif.

Au demeurant, l’outrecuidance dans la communication politique démontre éloquemment une méconnaissance des règles et des valeurs de la culture politique ou tout simplement de la mauvaise foi caractérisée. Il y a tout même dans cet univers politique des personnes de qualité qui ont fait leurs preuves  dans divers domaines de la vie nationale ou internationale !

Les partisans des leaders (Parti au pouvoir et Opposition) , pour leur faire plaisir font de la surenchère dans les invectives et les diatribes. Ils ignorent royalement les intérêts des populations. Celles-ci demeurent dans la précarité et la promiscuité, toutes appartenances ethniques et nationalités confondues. Cette posture apparaît politiquement contre-productive à terme. Une communication non structurée, biaisée et comminatoire suscite le désintérêt, l’indifférence voire le rejet. D’ailleurs, ces politiciens se soucient-ils de leur image et de leur réputation dans l’opinion et surtout de l’avenir de leurs relations sociales dans le pays ? Personne n’a le monopole de la vérité. C’est même la raison d’être et le bien-fondé de la démocratie. En tout état de cause, chacun « au fond de lui-même se rend plus de justice »(Jean Racine), en son âme et conscience et devant notre Dieu Créateur.

Au-delà de la politique, après le pouvoir il y a la vie. Dans ce sens, l’histoire est un enseignement ! Le militantisme,  généralement alimentaire, ne doit pas faire  perdre de vue la citoyenneté. L’usage immodéré des réseaux sociaux quasi incontrôlables et des journaux traditionnels, partisans et peu professionnels, complique davantage la donne. Les chefs n’ont pas besoin de laudateurs ni de thuriféraires pour leurs louanges, dans un État moderne et une société plurielle. Leurs actions, actes et résultats en eux-mêmes devraient être suffisants pour bâtir une communication sur du concret qui intéresse le peuple dans son ensemble. Il leur faut donc nécessairement des collaborateurs à l’esprit républicain, de  conviction assurée, de courage du débat honnête et apaisé, au comportement citoyen, pour réussir davantage leur lourde mission et espérer entrer honorablement dans l’Histoire. Comme, par exemple, Nelson Mandela connu,  reconnu et admiré de par le monde entier.

Le général De GAULLE affirmait : << La culture générale est la clé du commandement>>. Combien d’acteurs politiques ou d’autorités administratives en Côte d’Ivoire lisent-ils ? Combien ont-ils écrit pour faire partager leurs convictions, leur  engagement, leurs expériences, leurs perspectives ou, mémoires pour certains, les plus anciens ? Dans notre modeste ouvrage << Moderniser l’État africain >>, Éditions du CERAP, 2003, nous avons rappelé la nécessité pour les États africains de s’inscrire raisonnablement dans la tradition universelle des Droits de  l’Homme. L’ État performant et légitime respecte les principes de la démocratie politique, l’État de droit et  l’éthique républicaine. Il a  également la responsabilité principale d’œuvrer à la promotion du développement économique, social et culturel de la nation, l’épanouissement humain, dans le cadre de la bonne gouvernance. Le principe de base de la gestion publique est la redevabilité, l’obligation de rendre compte.

Le CERAP (Centre de Recherche et d’Action pour la Paix) d’Abidjan pourrait,  justement et utilement, accompagner les acteurs politiques ivoiriens et africains en général pour l’amélioration de leurs performances, afin de donner des raisons d’espérer aux nations africaines. Faute de formation, d’organisation et d’idéal pour la nation, la classe politique fait souffrir inutilement le bon et joyeux peuple ivoirien, trop complaisant à maints égards. Toutes les paisibles populations vivant sur cette terre d’hospitalité, de paix par le dialogue et de fraternité ont le droit d’être rassurées par le comportement des acteurs publics.

Le désir de paix du peuple devrait être soutenu par la volonté de paix de la jeunesse dont l’avenir est en jeu. Sans la manipulation des jeunes, il ne peut y avoir de violence. Le temps qui passe, dans un  contexte d’incertitudes politiques cycliques, n’est certainement pas le meilleur allié pour préparer un avenir dans  la sérénité. À choisir en toute lucidité. Tel est le sens des élections dans une société rationnelle et organisée! Pour l’amour de la Côte d’Ivoire, dirigeants politiques et peuple, soyez sincèrement en communion (Comme-Union), dans la paix et l’espérance !

Juin 2023
               Pierre AYOUN N’DAH
               Docteur en Droit public
               Expert en Management public
            Ancien Professeur à l’ENA Abidjan 

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