Pas d'accords entre junte militaire et CEDEAO au MaliA LA UNE AFRIQUE 

INTEGRATION REGIONALE ET STABILITE DES ETATS OUEST-AFRICAINS : SORTIR DU CERCLE VICIEUX (2ème partie)

A l’observation, la plupart des crises sociopolitiques en Afrique, particulièrement francophone, prennent leur source, principalement, dans l’organisation de l’élection présidentielle. Une réflexion commune doit être menée sur ce point. Les organismes nationaux d’organisation des élections en l’occurrence la Commission électorale « indépendante » et la Cour constitutionnelle (Conseil constitutionnel) sont, de façon récurrente, accusées de partialité et de favoritisme. Ils doivent, par conséquent, être réformés à partir du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et l’Etat de droit. Ainsi, tous les Etats bénéficieront d’un dispositif juridique électoral commun, avec un organe juridictionnel commun.

Des modalités de coopération pourraient être envisagées pour la participation de compétences professionnelles (magistrats, administrateurs, experts, etc.) émanant des différents pays membres. Cette pratique est bien une réalité en Afrique australe, particulièrement au Botswana et garantit l’indépendance réelle de ces institutions.

Sur le plan bilatéral, la France a toujours entretenu avec les Etats africains francophones des relations empreintes de paternalisme et de compromissions des élites, notamment politiques et économiques. Il est parfois sidérant que des personnalités françaises de premier plan s’impliquent dans la gestion politique interne des Etats africains, comme si elles étaient des parties prenantes directes. La France a une préférence pour la théorie du « porte-clés et des clés » qui garantit sa suprématie. Dans cet ensemble, les parlements des Etats africains, soigneusement tenus à l’écart de tout sinon de l’essentiel, gagneraient à donner de la voix afin de mériter d’être la représentation des peuples.

Par ailleurs, une déprofessionnalisation de la pratique diplomatique, en France, comme dans les pays africains, est observable. Les diplomates de carrière sont de plus en plus éloignés des centres et du processus de prise de décision. Le respect mutuel, la courtoisie et l’élégance langagière, dans la subtilité, la finesse et la délicatesse créent les conditions de la confiance dans les relations internationales. Les péripéties des relations diplomatiques franco-maliennes, avec expulsion d’ambassadeur, un niveau très élevé de la dégradation des rapports, sont édifiantes et augurent de modifications majeures probables dans un avenir pas lointain.

La grande et glorieuse diplomatie française telle que rêvée, conçue et pratiquée par Talleyrand, orfèvre en la matière, puis magnifiée et amplifiée par le général De gaulle, semblerait en voie de perdre ses lettres de noblesse.

Il n’est pas vraiment trop tard. Les ressources du génie politico-diplomatique hexagonal demeurent considérables et encore nécessaires pour la construction d’un monde multipolaire susceptible de garantir à tous liberté, dignité et progrès, dans une dynamique de relations internationales symbiotiques.

L’Afrique politique d’aujourd’hui, malgré la complexité croissante du monde n’est pas, en réalité, différente de l’Afrique des indépendances. Les individus changent mais les systèmes et les motivations demeurent. Seules leurs adaptations pourraient faire espérer en un avenir partagé et mutuellement bénéfique. C’est par la formation et surtout l’implication des jeunes que les Africains pourront s’élever, par le biais d’un processus d’intégration raisonné qui aboutisse à la constitution d’une force collective qui compte.

Comme les autres parties du continent, la sous-région ouest-africaine attend beaucoup de ses dirigeants et autres membres de l’élite pour se forger un destin, en rassurant les peuples. Elle est à la recherche d’hommes d’Etat, plus que d’hommes politiques ou de politiciens. En effet pour l’homme d’Etat, le moteur de l’action, c’est de servir avec foi, dévouement et souvent abnégation pour, à la fin, mériter ²le Séjour des éternels², en entrant dans la mémoire et le cœur des peuples. Il s’agit d’hommes et de femmes, leaders, attachés à la défense, la protection et la promotion des institutions. Par leur vision et leur action, les institutions doivent susciter la confiance des populations, en étant porteuses d’idéal, d’ordre, de stabilité et d’espérance pour les nations et les espaces de solidarité créés pour progresser ensemble. C’est une grande responsabilité devant les hommes et devant l’histoire, dont on doit sérieusement prendre conscience pour servir utilement.

A partir de ces indices, l’avenir des organisation sous-régionales ouest-africaines, particulièrement la CEDEAO, pour être serein, s’inscrit dans une dynamique de réformes à envisager et à conduire dans la sagesse. Les lignes directrices portent  à agir pour :

  1. concevoir des mécanismes réels de prévention des conflits ou des violences :
  2. mettre en place progressivement des institutions véritablement supranationales ou super étatiques ;
  3. favoriser l’émergence d’un droit régional ouest-africain comme il existe aujourd’hui un droit européen, objet d’enseignement dans les universités et surtout d’application quotidienne dans la vie des populations et dans les rapports entre les Etats membres de l’Union européenne ;
  4. concevoir et mettre en œuvre des mécanismes de rationalisation et de coordination des rapports entre les différentes organisations (Conseil de l’Entente, UEMOA et CEDEAO). Cela, pour le renforcement de la concertation, la coopération et la poursuite d’un idéal commun, pour des objectifs communs et des résultats partagés, dans la confiance et la coresponsabilité. L’épisode de la substitution de l’ECO, monnaie prévue pour l’ensemble de la CEDEAO, adoptée unilatéralement par les seuls pays de l’UEMOA avec le concours de la France, d’ailleurs pour le moment sans lendemain, fait désordre dans le processus d’intégration ;
  5. faire assurer la présidence de la Commission de la CEDEAO par une personnalité politique connue et reconnue dans la sous-région pour sa contribution avérée à la promotion de la paix, du développement, l’Etat de droit et la démocratie. Cette personnalité doit justifier suffisamment de surface personnelle et de crédit politique pour avoir une représentativité et une visibilité à l’égard des Chefs d’Etat en fonction. Raisonnablement, des clarifications seront nécessaires au niveau de la répartition des compétences entre le Président de la commission et le Président en exercice des chefs d’Etat et de gouvernement, pour un fonctionnement rationnel et optimal de l’organisation ;
  6. mettre en place un « Conseil des Sages » pour une mission de veille, d’alerte et d’aide à la décision auprès des organes que sont la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement et la Commission de la CEDEAO. Les modalités de désignation de ses membres devront faire l’objet d’une attention particulière pour apporter plus de sérénité.

Pour la conception et la mise en œuvre de toutes ces réformes, une réflexion préalable devra être menée par une mission d’experts ouest-africains et internationaux, avec des propositions concrètes, réalistes mais audacieuses.

Enfin, sur la question cruciale de la sécurité, la sous-traitance dans laquelle se trouvent la plupart des Etats, tout en constituant une entorse au principe de souveraineté, marque de façon nette le recul de la solidarité forgée à la création des organisations ouest-africaines.

Initialement, deux pactes de défense avaient été conçus et mis en œuvre. L’ANAD (Accord de Non-Agression et d’Assistance en matière de Défense) a été créé par les pays francophones, avec le protocole signé à Dakar, au Sénégal, le 14 décembre 1981. Le siège était à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Sa création fut l’objet de nombreuses controverses.

Parallèlement ou par une sorte de superposition, ont coexisté l’ANAD et le mécanisme de non-agression et d’assistance mutuelle de la CEDEAO. Le système de sécurité de la CEDEAO prévoyait la formation de Forces alliées destinées à intervenir en cas d’agression extérieure, de conflit entre Etats membres, voire de trouble interne attisé par des puissances extérieures au continent. A cet effet a été créée la Force « ECOMOG », largement dominée par le Nigeria, laquelle est déjà intervenue au Liberia et en Sierra Leone. Elle a également menacé d’intervenir en Côte d’Ivoire et en Gambie. Visiblement, les deux pactes, l’ANAD et celui de la CEDEAO étaient superfétatoires. L’ANAD a été dissous. Qu’en est-il réellement aujourd’hui du système de sécurité de la CEDEAO ? Naturellement, là où il n’y a pas de sécurité, il n’y a ni paix ni développement ! Il revient donc aux concepteurs et bâtisseurs des institutions des organisations ouest-africaines de savoir définir les priorités et envisager un agenda intégré à un processus rationnel, cohérent et soutenu.

Le Président Félix Houphouët-Boigny était considéré, à tort ou à raison, comme l’un des concepteurs et principaux animateurs de la Françafrique, avec Jacques Foccart, pendant longtemps Conseiller à l’Elysée pour les Affaires africaines. Il parlait lui-même, au sujet des pays africains francophones, d’indépendance politique formelle, acquise en 1960, celle du drapeau et de l’hymne national. Pour lui, l’indépendance réelle, l’indépendance économique, serait conquise avec les génération suivantes, mieux formées pour comprendre les enjeux et maîtriser les contours de la compétitivité, la défense et la promotion des intérêts nationaux, des intérêts africains. Cela devrait s’opérer sans préjudice des intérêts des partenaires de quelque nature que ce soit. Dans ce sens, on ne peut pas affirmer qu’il n’y a pas eu de formation pour les dirigeants africains actuels. Alors que leur manque-t-il encore pour assurer avec honneur les responsabilités liées aux missions à eux confiées par leurs peuples respectifs et l’ensemble des populations de la sous-région ?

11 février 2022

Pierre AYOUN N’DAH

Docteur en Droit Public

Expert en Management des organisations publiques

Spécialiste en Relations internationales et Organisations régionales africaines.

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