Le Mozambique espère un soutien massifA LA UNE AFRIQUE 

LA GESTION DE L’ÉTAT ET LA CONSTRUCTION DE LA NATION

L’État a un esprit, qui peut être changé ou modifié au cours du temps, du fait des alternances politiques, des guerres ou autres circonstances. Mais la nation dispose d’une âme qui ne peut s’éteindre, qu’on ne peut effacer, malgré les vicissitudes de l’histoire. Normalement, il revient à l’État de forger la nation et de conduire son destin. Qu’en est-il en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire ?

Un observateur international a affirmé :<< Il faut pardonner aux Africains de mal gouverner; ils connaissent si peu ou si mal l’État, un phénomène étranger importé de l’Occident >>. La gestion informelle de l’État en Afrique conduit à tous les dérapages et toutes les dérives. Denis Maugenest, jésuite et universitaire, pour sa part, écrit : << On savait l’État en Afrique de santé fragile. L’arrivée des Africains aux affaires n’allait-elle pas compromettre les bases de cet instrument du « bien commun  » ou de « l’intérêt général », en l’assujettissant aux caprices ethniques des uns et aux ambitions totalitaires des partis uniques (ou ce qui y ressemble) des autres ? >>.

Malheureusement, les populations africaines peu imprégnées des valeurs de la démocratie et de l’État de droit, mal ou non informées de la raison d’être et des missions de l’État, se trouvent dans une mentalité de « servitude volontaire « (La Boétie).

Par ailleurs, même instruit, l’Africain entretient généralement des rapports plus que problématiques avec la rationalité, la règle de droit et les valeurs éthiques de la gestion qui fondent l’équilibre de la société et en assurent le progrès. Ne pas avoir la culture d’une activité, d’une fonction ou d’un métier que l’on exerce constitue un danger pour la communauté, l’environnement concerné. Pour l’Africain, l’intérêt et le service à la communauté se limitent à sa famille et au mieux à sa tribu, l’État n’étant qu’un objet de prédation des ressources.

Aussi conviendrait-il d’assurer efficacement la formation des dirigeants en Afrique pour un professionnalisme avéré et une conscience de service affirmée. Les deux valeurs sont forgées dans la connaissance et le respect de la légalité, ainsi que le souci de la légitimité, dans les prestations pour l’ensemble de la nation. L’État, au service de tous, peut ainsi espérer promouvoir l’unité de la diversité nationale. Existe-t-il une conscience nationale ivoirienne qui puisse conférer à ce pays une substance mythique et une profondeur d’âme?

Travaillons ensemble, en toute humilité mais avec courage, foi et détermination, à rétablir l’État dans sa nature, son organisation, son fonctionnement et ses missions. Pour notre pays la Côte d’Ivoire, le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY a laissé un État, à sa disparition en décembre 1993. Il reconnaissait lui-même que la nation était encore dans un processus de construction, une œuvre de longue haleine. Il revenait à l’État d’encadrer le peuple et d’agir à titre principal pour tendre vers l’union, dans la discipline et le travail.

Après le Président HOUPHOUËT qui a réellement géré le pouvoir avec des conseillers et experts étrangers, qu’est-il l’État devenu? En déshérence, c’est-à-dire une absence de continuité de l’organisation de l’État-institution, en réalité une succession presque vacante. Même ceux qui se réclament de sa vision sont, depuis plus de trois décennies, dans une division funeste, déplorable et dommageable pour le pays, en-dedans et au-dehors. Ceux qui l’ont combattu, l’occasion leur ayant été donnée d’être à la manœuvre, n’ont cependant pas assuré convenablement la mission ni rassuré la nation.

La Côte d’Ivoire est donc entrée, depuis lors, dangereusement et durablement dans une zone de turbulences dont l’aboutissement est, hélas, constituée de la crise sociopolitique, l’absurde conflit armé et la déchirure du tissu social qui en est issue. Après la crise, quelles perspectives et quelle espérance ? Il faudrait nécessairement, avec de bonnes volontés, un porteur d’une espérance nouvelle de fraternité ivoirienne retrouvée, en confiance et solidarité, avec les autres peuples d’Afrique et du monde. Du Sud au Nord, de l’Est à l’Ouest, en passant par le Centre et le Centre-Ouest, nos destins sont intimement liés par l’histoire et la raison, hier, aujourd’hui et plus encore demain.

Le voyage commun dans le temps, entamé par ceux qui nous ont précédés il y a des lustres, a connu des périodes de gloire, d’union et de solidarité active dans la prospérité. En même temps, de malencontreuses incompréhensions, des malentendus et autres dérapages ont amené la patrie à des sorties de route regrettables et condamnables. C’est en tirant utilement les enseignements de toutes ces expériences et épreuves, qu’avec « les autres frères Africains que Dieu nous a envoyés pour vivre avec nous »(Félix HOUPHOUËT BOIGNY), nous pourrions à nouveau nous ré-unir pour progresser ensemble, dans le respect de nos différences.

Nos différences, en effet, ne doivent pas être perçues comme des sources de méfiance ou de conflit, mais plutôt des opportunités d’enrichissement culturel mutuel et de complémentarité pour une nécessaire solidarité constructive, au bénéfice de tous. Des ajustements de divers ordres devront être envisagés, après une large concertation nationale libre, ouverte et inclusive, dans la sagesse et la sérénité, avec le concours raisonné de la communauté internationale.

Les autorités traditionnelles, les leaders religieux et les membres de L’ASCAD (Académie des Sciences, des Cultures, des Arts et des Diasporas Africaines) ont une contribution attendue dans le retour à la confiance collective nationale, la cohésion sociale. Ils doivent veiller naturellement à l’obligation pour les gouvernants de respecter les règles de la démocratie, la bonne gouvernance et l’État de droit pour la paix, la solidarité et la quiétude dans la nation. Nous sommes, tous et toutes, leurs ouailles et leur devons respect et allégeance si nous sommes des hommes et des femmes de foi, de loi, de raison et de reconnaissance.

Il apparaît essentiel de garder le cadre institutionnel général d’organisation d’un État moderne, trait d’union entre des peuples divers et parfois sociologiquement antagonistes. Cependant, les Africains pourraient intégrer, dans le fonctionnement du système, des mécanismes d’inspiration traditionnelle, susceptibles de freiner les velléités de non-respect des règles, d’abus de pouvoir ou d’autoritarisme des dirigeants. Les spécialistes des sciences sociales et juridiques seront certainement en mesure de proposer des solutions idoines.

En définitive, en observant la marche de la Côte d’Ivoire, politiquement empreinte de doute et d’inquiétude depuis une trentaine d’années, qu’il plaise à Dieu d’inspirer les dirigeants, actuels et futurs! La Providence devra donc faire grâce au pays d’hommes et de femmes de courage et d’humanisme, nourris par les enseignements de l’histoire et porteurs d’une vision de réalisation de l’unité nationale. Ceux-ci devront, en outre, pouvoir dépasser l’instantané, le court terme politique en œuvrant pour la préservation de l’avenir, la vie des populations, la prospérité nationale, l’insertion socio-professionnelle des jeunes, la solidarité active, la justice sociale, la promotion des territoires et la crédibilité internationale. Sur ce dernier point, la politique sous-régionales et africaine demeure une priorité pour la sécurité, l’intégration et la fraternité entre les peuples du continent.

Parallèlement, au Sénégal, le Président Léopold Sedar SENGHOR, homme d’État intellectuel (académicien) et raffiné, a laissé à la classe politique nationale et au peuple en héritage une culture démocratique, un sens de l’État, une volonté de gestion institutionnelle et un attachement à la qualité de l’administration. En rapport avec l’actualité sociopolitique dans ce pays, si le Sénégal venait à perdre son crédit démocratique (ce qui n’est pas souhaitable), l’Afrique noire francophone pourrait être disqualifiée pour longtemps dans le concert des nations en termes d’aptitude à la gouvernance.

Dans l’ensemble, le jour où les Africains auront, sans complexe, un réel sentiment d’être partie intégrante de l’humanité, ils pourront alors y apporter une valeur ajoutée appréciable. De cette façon, ils recevront, en retour, la considération et le respect des autres peuples pour leur contribution à l’enrichissement de « la civilisation de l’universel » (L.S.SENGHOR).

C’est une bonne politique qui fait une bonne économie compétitive et prospère; une bonne société paisible et solidaire ; un bon peuple libre, responsable et optimiste ; une bonne espérance vivifiante pour une bonne jeunesse éduquée, bien formée, entreprenante, audacieuse et raisonnablement exigeante dans son accompagnement par les pouvoirs publics. Le pays ainsi rassuré et rassemblé en confiance, peut dans ses différentes composantes, entretenir un sentiment d’appartenance nationale par la citoyenneté, pour enfin forger et consolider l’union des populations, de toutes les populations. La paix, la stabilité, le développement et la crédibilité internationale se trouvent au bout de ce processus qui demande des efforts de dépassement et parfois de surpassement de soi.

La conduite de l’État est profondément marquée d’une dimension missionnaire et sacramentelle, qui engage les dirigeants devant les peuples et l’histoire….

Abidjan, mai 2023

Pierre AYOUN N’DAH

Docteur en Droit public

Expert en Management public

Ancien Professeur à L’ENA

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