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AFRIQUE : REMETTRE L’ÉTAT À L’ENDROIT

L’État, organisation politique, juridique et institutionnelle suprême dans un pays, constitue un tout, une globalité. La région en est une partie, une portion, une composante. Lorsque dans un pays, les autorités s’inscrivent dans une logique implacable de régionalisme identitaire sectaire, l’unité nationale est gravement menacée et l’avenir commun du vivre ensemble citoyen est compromis.

Selon l’éminent constitutionnaliste français Georges Burdeau, « au commencement et à la fin des efforts des hommes pour inventer l’État, – Institution -, il y a une idée de discipline ». Discipline des gouvernants, discipline des gouvernés.

Par ailleurs, il affirmait que l’État a été créé pour que l’homme n’ait pas à obéir à l’homme, un individu, mais à une institution, une organisation formelle et structurée, juridiquement établie.

Pour sa part, J. Patrick Dobel, dans son ouvrage « Intégrité morale et Vie publique », Nouveaux Horizons, 2004, donne de précieuses indications sur le concept d’institution, à partir du constat que gouverner consiste à assumer une responsabilité pour faire face à une gestion des différences ; toute nation étant forcément caractérisée par la diversité de ses communautés et de ses membres. Il convient donc, en gouvernant, de veiller à parvenir à l’unité de la diversité, sinon l’union des communautés et des citoyens. L’édifice institutionnel se présente comme une construction patiente, à améliorer constamment, qui représente une source de justice et de protection pour tous, à travers l’existence et la vie d’une communauté politique. Dans ce cadre institutionnel, le loyalisme transcende les différences de groupes. L’État devient donc « une maison commune pour une multitude d’individus et de groupes, un lieu et un lien de vie et d’appartenance, où ils se sentent en sécurité et peuvent se réaliser en fonction de leurs qualifications ou de leurs talents ».

L’État, normalement et raisonnablement, est un symbole de vie et de protection des personnes et des biens, ainsi que de la dignité humaine. Cependant à la vérité, l’État africain ne semble pas être dans la norme universelle. Il semble être à l’envers. Il marcherait sur la tête et apparaît donc étrange, voire étranger aux populations, qu’il inquiète au lieu de les rassurer. Il est par conséquent impérieux de remettre l’État sur ses pieds, le remettre à l’endroit, le faire entrer dans la normalité, conformité au principe, à la règle. C’est à cette condition que L’État en Afrique pourra devenir véritablement un instrument de la solidarité, la sécurité, la paix et du développement de la nation, dans toute sa diversité.

De ces considérations, que peut-on déduire, avec lucidité ? Les Africains, de façon générale, seraient-ils réfractaires à la discipline ? Ont-ils réellement une claire conscience de l’intérêt général et du bien commun ? Quel est leur rapport au temps, à l’histoire ? Quelle est leur aptitude à la compréhension et à l’utilité du droit, phénomène somme toute abstrait inventé pour l’équilibre de la société, l’harmonie entre les individus et entre les groupements humains ? Le rapport de l’Africain à l’État n’apparaît-il pas problématique, énigmatique ?

À partir de ces interrogations majeures, qui révèlent un déficit observable de la conceptualisation, et en sortant de l’émotion pour la rationalité, un processus de construction démocratique pourrait s’opérer raisonnablement. Des réformes seraient engagées pour une transformation publique porteuse d’espérance et de qualité de vie pour tous, sinon le plus grand nombre.

Ainsi apparaît la nécessité pour l’Afrique d’avoir des dirigeants charismatiques, porteurs de vision, d’idéal, de valeurs et de parole vraie. Le leader charismatique, à la tête d’un État, fait corps avec son peuple, se préoccupe de la sécurité et du bien-être de celui-ci, l’amène à s’élever dans la dignité et la solidarité. La finalité consiste à construire une nation unie, volontaire, ingénieuse et prospère. Les collaborateurs, aptes à comprendre les missions et le fonctionnement de l’État, ainsi que le sens de l’histoire en tant que mouvement, se doivent de partager cette vision.

La capacité à s’autolimiter dans l’exercice du pouvoir, par une éthique de la responsabilité publique, est la condition première de la bonne gouvernance et du respect de l’État de droit. Entre pouvoir discrétionnaire et compétence liée, il y a matière à débattre. Aussi, la formation des élites politiques et administratives devient une ardente obligation pour une meilleure gestion des États en Afrique, en vue de la réalisation d’un idéal de construction politique, sociale et humaine.

Par ailleurs, faute de documentation et d’archives, de réflexion préalable suffisante et d’anticipation, d’évaluation et de redevabilité, les États africains fonctionnent en général sans mémoire ni boussole, dans une sorte de navigation ou de pilotage à vue.

De ce qui précède, puisque le personnel politique actuel sur le continent semble, dans l’ensemble, irréformable, l’on gagnerait à investir plutôt dans l’éducation et la formation des jeunes générations, particulièrement « les alevins », aux responsabilités publiques. Serait-ce une voie possible pour espérer donner à l’Afrique des chances d’un avenir prévisible ? Dès l’école, il conviendra d’assurer l’éducation des enfants au discernement, à la responsabilité, à la paix et la justice sociale.

Enfin, l’on n’y prête pas vraiment attention, mais le colonisateur et le colonisé ont commis une grave erreur à l’indépendance des États africains, pour la plupart dans les années 1960. Ils n’ont pas su ou pu, de part et d’autre, dépasser les ressentiments et les frustrations, pour forger un esprit de fraternité humaine, qui leur aurait permis de vivre ensemble sur la même terre.

L’appartenance juridique d’Européens d’origine, des Blancs, aux nouvelles entités étatiques nationales, en tant que citoyens et Africains, aurait certainement modifié le destin de ces pays en termes de démocratie, de gestion publique, de capacité de négociation internationale et de développement économique et social. L’exemple sud-africain, avec Nelson Mandela, premier Président Noir, qui a su réconcilier les Noirs et les Blancs, après l’abject système d’apartheid (ségrégation raciale), semble gratifiant à maints égards.

Le rapprochement des peuples d’Europe, particulièrement de France, et d’Afrique aurait, à notre avis, favorisé un partenariat mutuellement bénéfique, notamment par le biais de la coopération décentralisée. Le développement local, qui est la réalité de la vie au quotidien, en dépend largement. Retrouver et réhabiliter l’humain, sa dignité, pour dépasser les frontières, construire la solidarité et rapprocher les cœurs et les esprits, au nom de la vraie fraternité ! Comment reste-t ‘on durablement dans la légitimité historique de la mémoire des peuples ? Telle devrait être l’interrogation majeure de l’homme d’État, dans l’accomplissement de sa mission, qui est une onction !

17 juin 2024

Pierre AYOUN N’DAH

Docteur en Droit public

Ancien professeur permanent et ancien Secrétaire général, ENA de Côte d’Ivoire

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