Côte d’Ivoire: Pourquoi le président Ouattara n’inspire pas les artistes ivoiriens?
Depuis quelques mois, nous investiguons sur le manque d’engouement des artistes ivoiriens à dédier des chansons en hommage au président Ouattara, car d’ordinaire, quand ce fut le tour des autres anciens présidents, leur marigot ne tarissait jamais d’éloges ou d’attaques. Les résultats que nous vous livrons, par mesure de prudence, nous n’avons pas voulu indiquer les noms de ces stars qui se sont prêtées à nos questions. Les mandatures de leur président Ouattara sont très loin de s’interférer dans leur inspiration.
Les avis convergent vers la peur de se voir emprisonnés car beaucoup ont essayé et ont failli y laisser leur liberté. ADO n’est pas camarade quelqu’un, Si tu as essayé, ce n’est pas lui qui va répondre, mais les procureurs, en plus, lui n’est pas poète et il ne danse pas. Il n’encourage pas les artistes à s’enjailler , etc, ce sont quelques propos recueillis.
Ces expressions que nous avons entendues lors de notre enquête viennent des artistes eux-mêmes. Le sujet nous préoccupe parce qu’en Côte d’Ivoire chaque personnalité qui émerge a tout de suite des artistes qui font sa promotion. En la matière, le défunt Hamed Bakayoko rasait la palme d’or, mais hélas, il n’est plus.
Du temps de Hamed Bakayoko, on avait la liberté et l’assurance de nous produire car s’il t’arrivait quelque chose, il décrochait son téléphone et l’affaire était pliée, nous dit un autre artiste celui-là du zouglou qui est triste quand il évoque la période du défunt premier ministre et maire de la commune d’Abobo, Hamed Bakayoko.
Sous le président Ouattara, il est formellement interdit de chanter politique, sinon, tu te retrouves en CABA, synonyme de prison.
Mais si les artistes engagés les plus connus comme Tiken Jah et Alpha Blondy n’ont plus de voix, c’est parce qu’ils ne veulent pas dénoncer leur frère qu’ils ont aidé à parvenir au pouvoir, nous dit un tenancier de maquis à Yopougon en face du complexe sportif, par contre poursuit-il, si le président était d’une autre ethnie, je ne vous dis pas ce qu’ils allaient produire par semaine.
Est-ce que vous ne vous souvenez pas de ce qui allait arriver à Siro et Yodé qui ont échappé belle quand ils ont tenté de critiquer. Ils étaient en route pour la MACA (maison d’arrêt et de correction d’Abidjan), pour avoir chanté, les 20 ans quand Hamed Bakayoko est intervenu pour qu’ils recouvrent la liberté, nous rappelle un autre.
Monsieur, avec ce type-là, on boit, on fume et on se cale, sinon tu as osé, c’est la prison qui t’attend, nous raconte très amer, un autre artiste qui a eu la plus grosse peur de sa vie, croyant que nous étions commandités par le président Ouattara.
Un autre qui attire notre attention en ces termes: « même les télévisions ne sont prêtes pour nous et ce sont les artistes étrangers qui ont pion sur rue dans notre propre pays.
Une fille d’un groupe gospel aussi nous interpelle: « monsieur, c’est vous qui posez les questions sur le manque d’inspiration sur le président Ouattara? » nous lui répondons par l’affirmative, écoutez, depuis qu’il est là, même Dieu est en voyage pour dire qu’il va nous donner inspiration pour chanter ses louanges. Il est enfermé dans ses bureaux, il ne sort pas de chez lui pour dire qu’il va nous éblouir un peu pour activer notre inspiration. Comment on peut chanter quelqu’un qu’on ne voit que rarement. C’est souvent sa femme qui, de temps en temps quand elle se déplace, s’enjaille un peu en dansant avec les artistes invités à cette occasion mais, on ne peut pas dire qu’on les connaît pour les vénérer.
Un jeune du reggae donne un avis contraire. Il nous dit que ADO n’est pas camarade de quelqu’un pour venir s’amuser avec ses artistes, donc, nous aussi, on n’a pas son temps pour le chanter, alors que du temps de Gbagbo, wallahi (au nom de Dieu), même ses chemises nous inspiraient, mais bon tout ça c’est du passé, conclue-t-il . Vous le regrettez, nous lui demandons et voici sa réponse: « ah vié père, on avait des rues de joie et tout ça, c’est parti à l’eau. »
Tout se résume au même constat, on ne rase pas la tête d’un fou, s’il n’est pas assis devant soi. Le président ivoirien est un économiste, un chercheur d’argent, il n’est pas dans nos rou-rou, nous rétorque, un jeune du nord aux cheveux rasés qui se dit raggaman qui paraît soutenir le contraire des autres car pour lui, celui qui cherche de l’argent ne danse pas en public, donc si les artistes ne veulent pas chanter autre chose, ils n’ont qu’à se taire.
Pourtant, il fait des réalisations qui peuvent booster des hommages, mais cela n’arrive pas dans les oreilles des artistes mêmes engagés, ils ne sortent rien sur lui.
Wassakara avait été choisi par l’artiste Billy Billy qui composait des chansons très engagées, mais vers la fin, il a fini par quitter le pays à cause de sa sécurité qui n’était plus garantie.
Alors si ADO veut qu’on le chante, qu’il fasse comme les autres, être moins stricte ou ses gars n’ont qu’à fermer leurs yeux, pour nous laisser dans la joie car ici, tout est sur surveillance et on a l’impression que derrière chaque ivoirien, se cache des détenteurs de pistolets qui n’hésitent pas à dégainer donc, on a peur, regrette un autre dans un maquis à Yopougon.
Un jour, étant assis en face de l’ancien président centrafricain, François Bozizé, à Bangui, il disait que la Côte d’Ivoire était un pays facile à gouverner parce qu’il y a des artistes qui, dans leurs chansons donnent des idées de la bonne gouvernance, est-ce le cas actuellement en Côte d’Ivoire? On vous laisse le soin de vous faire votre propre opinion.
Il y a cependant un ministère consacré à la culture où il y a des experts qui peuvent lui donner des conseils pour détendre l’atmosphère trop délétère qui règne dans son pays. Le pays est trop électrique et aucun artiste ne veut prendre sur lui, l’engagement de critiquer la politique mise en place par le président Ouattara. Comme si la liberté d’expression était loin d’atterrir dans les cerveaux pour alimenter des chansons, il faut dire que la culture est un baromètre pour mesurer le climat de paix ou de terreur dans un pays. On se souvient que sous le président Gbagbo, il ne se passe pas de jours sans que les artistes ne rentrent dans les studios pour sortir des satires sociales, mais comme ils le disent, les périodes ne sont pas les mêmes et on le confirme à travers cette enquête.
Quant à Issa, un artiste musicien, ADO est un travailleur, quand il arrive chez lui, il est fatigué, vos histoires de danser-là, il n’est pas dedans.
Enquête réalisée par Joël ETTIEN