Laurent Gbagbo, le regard serein d'un grand hommeINVESTIGATION 

CPI : Affaire Laurent Gbagbo et Blé Goudé contre le Procureur. Il n’y a jamais eu de Plan Commun visant à commettre des crimes : Voici pourquoi.

Le rendez-vous du 01 Octobre 2018 que nous attendions impatiemment pour célébrer l’unité nationale si Laurent Gbagbo et Blé Goudé étaient libérés vient de passer, laissant derrière lui plusieurs millions de cœurs d’Ivoiriens et d’Africains meurtris ; il nous faudra encore attendre 40 jours, soit 960 heures, pour espérer connaitre l’épilogue d’une crise qui continue de diviser la Côte d’Ivoire et de cristalliser, à travers le monde, les positions entre les pros et les anti-CPI.

Cette attente qui donne certes le temps à la défense d’examiner en profondeur les 1093 pages et les 6000 pieds de page à eux soumises par l’accusation est un véritable calvaire supplémentaire pour les ivoiriens, un supplice de trop auquel s’ajouteront, assurément, quelques autres semaines qui seront consacrées à la délibération.

Toute cette attente, tout le stresse qu’elle provoque et toute la misère dont elle est à l’origine, n’est pas faite pour aider à renforcer le processus de réconciliation en Côte d’Ivoire qui n’attend que la bonne nouvelle de la libération de Laurent Gbagbo pour se réaliser. Entre temps, ses effets négatifs continueront de ravager le tissu social ivoirien parce qu’une cour, la CPI, qui ne finit pas de subir les assauts répétés des Etats-Unis mais hélas adoubée désespérément par la France néocolonialiste, a fabriqué un grossier Plan Commun dans sa vaine tentative de justifier l’application de l’article 25 (d) du Statut de Rome. Depuis 2016, l’accusation tente sans succès de démontrer l’existence de ce plan pour mettre en évidence la commission des crimes contre l’humanité qui, en réalité, n’ont jamais été commis par les accusés.

Selon le Bureau du Procureur, ce plan aurait été mis en place par Laurent Gbagbo et ses plus proches collaborateurs pour commettre des crimes graves à l’endroit des pro-Ouattara dans le but de conserver le pouvoir. L’interrogation que suscite cette allégation nous renvoie à l’indenté de ces collaborateurs de Gbagbo dont fait allusion sans cesse l’équipe de Bensouda. Quelles sont leurs origines ethniques ? Cette question est primordiale parce que, pour commettre un crime qui relève de la compétence de la CPI, il faut avoir agi ; soit seul, soit conjointement avec une ou plusieurs personnes ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs personnes (Article 25-3a). Mais, il est bien d’ajouter que les auteurs de ce genre de crimes ont souvent eu (cela est vérifié historiquement) une identité commune ou ont partagé une idéologique ; politique, religieuse, philosophique etc…

La question de l’identité de l’entourage immédiat de l’accusé nous intéresse également parce que le droit international ne définit pas le génocide en fonction du nombre de victimes, mais en fonction de l’identité des auteurs et des méthodes qu’ils utilisent pour parvenir à leur fin. Selon le traité de Rome, ils doivent surtout avoir planifié leurs crimes et les victimes doivent avoir été ciblées du fait de leur appartenance ethnique, politique, religieuse, philosophique etc… Dans le cas ivoirien, pour mettre en place un plan commun, il aurait donc fallu à Gbagbo et son entourage immédiat une identité et des valeurs idéologiques communes. En Afrique, l’identité commune qui sous-tend les crimes de masses a souvent été l’ethnie.

Dans l’affaire que nous examinons ici, on nous parle d’un groupe de personnes qui se seraient réuni régulièrement au domicile de l’accusé pour préparer des activités criminelles contre leurs adversaires politiques, particulièrement ceux qui sont originaires du nord de la Côte d’Ivoire. Selon le procureur, ces personnes auraient par la suite menée leurs activités par l’intermédiaire des forces régulières ivoiriennes ou avec l’aide des groupes d’auto-défense. Mais bien plus, M. Gbagbo et les personnes en question auraient encouragé et soutenu la commission des crimes allégués. C’est pourquoi, Bensouda et son équipe les accusent et appelle à la poursuite du procès au moment où la défense, avec le soutien de la Chambre en charge du dossier, plaide pour un non-lieu.

Pourtant, l’article 25-3d (ii) des Statuts de la CPI, pour être mise en application, exige que Laurent Gbagbo et ses collaborateurs en question aient agi en pleine connaissance de l’intention de commettre les crimes allégués. Ce qui sous-entend que les proches de Gbagbo qui ont participé aux réunions de crise évoquées par l’accusation au cour des audiences des 1,2 et 3 Octobre 2018 devraient avoir su qu’il s’agissait bien des rencontres qui préparaient des crimes contre les pro-Ouattara ; En termes plus clairs, cela signifie, dans l’esprit et la lettre de l’article ci-dessus cité, que les personnalités politiques telles que Aboudramane Sangaré, Koné Boubacar, Koné Katinan, Touré Moussa Zéguen, Konaté Navigué etc…tous des ressortissants du nord, devraient avoir su clairement qu’ils préparaient, aux différentes réunions de crise, des crimes de masse contre les nordistes. A-t-il réellement été le cas ? Le procureur répond par l’affirmative sans y apporter la moindre preuve. Mais, de notre point de vue, c’est invraisemblable et totalement absurde.

Comment des cadres d’une région peuvent-ils préparer minutieusement un plan pour commettre des crimes contre leur propre peuple ? Que l’accusation nous dise clairement dans quel intérêt ces cadres en question agiraient ainsi. Non, madame le procureur, les cadres Dioulas dans l’entourage du président Gbagbo n’ont jamais contribué à la commission de crimes contre leurs frères et sœurs. D’ailleurs, à ma connaissance, des crimes commis avec les parents des victimes en premier ligne dans la chaine de responsabilité n’ont jamais eu lieu, ni en Côte d’Ivoire, ni ailleurs dans le monde.

Le génocide des Tutsis (1994) a résulté d’une confrontation armée entre deux peuples issus d’une même nation : le Rwanda. Il y a eu d’un côté les Hutus, et de l’autre les Tutsis. Dans ce pays d’Afrique de l’Est, un peuple (Hutus), s’est organisé pour neutraliser un autre (Tutsis) sur la base d’une prétendue différence « raciale » héritée de la colonisation occidentale et pour faire aboutir son objectif politique. Dans ce conflit, les membres de chaque camp étaient liés par une forte identité culturelle ; les uns étaient Hutus, les autres Tutsis, deux groupes ethniques distincts.  

En Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Nazis ont défendu la supériorité raciale contre les Juifs.  Dans le programme politique d’Hitler présenté dans un ouvrage publié en 1925 et intitulé Mein Kampf (Mon Combat), le chef du parti Nazi avançait déjà clairement l’idée de la supériorité du peuple Allemand sur les autres peuples. Cela a permis aux Allemands à partir de 1933 de commettre des atrocités sur les Juifs et les Tziganes d’Allemagne et d’Europe pour garder la pureté de la race Aryenne. Les témoignages relatifs à la présence des Juifs aux côté des racistes Allemands pendant l’holocauste sont jusqu’aujourd’hui controversés parce que les prétendus collaborateurs Juifs n’étaient en réalité que des Allemands métissés. En ce qui concerne le génocide Arménien (1915-1916), que la France a fini par reconnaitre par la loi No 2001-70 du 29 Janvier 2001, il a résulté des massacres planifiés et exécutés par les Jeunes-Turcs, le parti au pouvoir dans l’Empire Ottoman à l’époque des faits. L’historien et écrivain Français Philippe Videlier affirme qu’« Il y avait une volonté [chez les jeunes Turcs] d’épuration ethnique pour restaurer la pureté turque ».

Dans ces trois cas de figure cités, il y a eu d’un côté l’oppresseur, les Hutus, les Allemands Nazis et les Turc musulmans, clairement identifié qui se prévalaient chacun d’une idéologie relative à la race (Hutus et Allemands) ou à la religion (Jeunes-Turcs). Ce sont ces « valeurs » que les membres de ces trois organisations sociales avaient en commun qui les ont incités à exercer le pouvoir de vie ou de mort sur leurs victimes respectives.

Revenons à la CPI et examinons à nouveau l’allégation du procureur au regard des dispositions ci-dessus mentionnées et des exemples cités relativement à la responsabilité pénale individuelle (Article 25). Cet article 25 du Statut de Rome fait référence au fameux Plan Commun.

Rappelons à toute fin utile que les proches collaborateurs de M. Gbagbo qui auraient concocté ce présumé plan avec leur leader ont toujours été pour la plupart ceux que nous appelons communément les Dioulas en Côte d’Ivoire ; ce sont des ressortissants du grand nord de la Côte d’Ivoire. Il est important de préciser à ce stade de notre analyse que nous ne relevons pas ce fait pour manifester une certaine opposition aux choix des collaborateurs de M. Laurent Gbagbo, mais nous menons cette démarche pour jeter davantage de lumière sur le flou que continuent d’entretenir Mme Bensouda et son Bureau dans cette affaire qui défrais la chronique depuis quelques années.

Le nombre impressionnant de cadres Dioulas autour de Gbagbo détruit totalement la thèse du Plan Commun que relève sans cesse l’accusation pour satisfaire aux exigences de l’article 25a du Statut de Rome. Mais, elle le fait sans répondre à la question pertinente que voici : Ces nordistes, proches de Gbagbo, pouvaient-ils faire partie d’un Plan Commun pour mener des attaques systématiques et ciblées contre leur propre peuple ? Cette question primordiale est un véritable obstacle que l’accusation devra d’abord lever pour espérer obtenir la poursuite du procès ; elle mérite une réponse claire et honnête de la part du Bureau du Procureur.

En attendant la réponse du Procureur qui ne viendra peut-être jamais, nous répondons par la négation. Non, Bensouda, les Dioulas proches de Gbagbo, ressortissants du nord et musulmans pour la plupart, ne pouvaient pas être acteurs d’un ensemble de stratégies qui avaient pour but de neutraliser de manière systématique et ciblée les membres de leur propre ethnie.

S’il n’y avait eu seulement qu’un ou deux ressortissants du nord autour de M. Gbagbo pendant la crise, votre allégation aurait peut-être mérité une certaine crédibilité. Malheureusement pour vous, les proches de Gbagbo originaire du nord de la Côte d’Ivoire ont toujours été plus nombreux que les cadres des autres ethnies y compris ceux venant de la région des accusés.

La preuve, non discutable, que les plus proches collaborateurs de l’accusé ont toujours été pour la plupart des membres de l’ethnie des victimes qui vous intéressent dans ce procès, à elle seul suffit donc pour conclure qu’il n’y a pas eu de Plan Commun. L’assertion du procureur Mac Donald aurait eu un poids si Gbagbo n’était entouré que par des Bétés ou à la limite que par des cadres du sud en considérant la ligne de démarcation tracée pendant la période de crise. Heureusement, cela n’a jamais été le cas. C’est pourquoi, il n’est pas honnête de parler de Plan Commun dans l’Affaire Laurent Gbagbo & Blé Goudé contre le procureur. L’accusation avait bien voulu répondre aux exigences de l’Article 25 du Statut de Rome pour exiger la poursuite du procès, mais hélas, elle n’arrive même pas à mettre en place le puzzle des acteurs de son prétendu plan avec des preuves au-delà de tout doute raisonnable.  

Il n’est pas inutile de rappeler à nouveau avant de terminer notre analyse que les crimes de masse comme ceux dont nous faisons allusion ici se fondent presque toujours sur des idéologies et leurs préparations se font dans une discrétion totale, loin des endroits publics tels que la résidence du chef de l’Etat, les stades ou tous autres lieux publics. Pour Hitler, l’idéologie qui a sous-tendu sa campagne criminelle contre les Juifs était la supériorité de la race Allemande, pour le pouvoir Jeune-Turcs, les crimes commis par les musulmans visaient à neutraliser la minorité Arménienne chrétienne. En Côte d’Ivoire, nous attendons toujours que le bureau du procureur nous donne la base idéologique sur laquelle se serait fondé son fameux plan commun contre les pro-Ouattara.

Que le procureur nous dise ce que Gbagbo et ses collaborateurs avaient en commun de si fort ; était-ce l’ethnie, la culture, la région, la religion ? Si les cadres du nord proches de Gbagbo ont réellement contribué directement ou indirectement à la commission des crimes contre les pro-Ouattara, comme l’allègue le procureur, ils doivent certainement avoir en commun une forte conception idéologique avec leur leader. Quelle est cette idéologie commune ? Est-elle aussi forte au point d’amener les cadres Dioulas à renier leur origine ?

Il y a certes eu de nombreuses victimes pendant la crise ivoirienne entre 2002 et 2011, mais M. Gbagbo et son entourage immédiat n’en sont pas les commanditaires. Et, l’historien Français Hippolyte Taine (1828-1893), dans sa lettre du 7 Septembre 1870 au peintre colonial Américain John Durand (1822-1908), situe bien les responsabilités en pareille circonstance quand il affirme que « Le véritable agresseur est celui qui rend la guerre inévitable ». Les crimes d’agression faisant partie des quatre crimes internationaux relevant de la compétence ratione materiae de la CPI, la cour devrait chercher à savoir qui a été l’agresseur pendant la crise ivoirienne. Pour rappel, pendant que Ouattara appelait à la guerre, Laurent Gbagbo recommandait la voie pacifique pour le règlement la crise postélectorale.

Le seul crime contre l’humanité pour lequel les victimes et leurs parents attendent toujours que la justice soit faite est celui commis à Duékoué par une horde de chasseurs traditionnels du nord, tous issus de la même tribu, contre le peuple Wê à l’Ouest de la Côte d’Ivoire.

Au moment où l’affaire Laurent Gbagbo et Blé Goudé contre le procureur semble tirer à sa fin, nous souhaitons ardemment que les juges ne laissent pas prospérer les arguments de l’accusation qui visiblement enfreignent à la disposition pertinente de l’article 51 de la Charte des Nations Unies ; une disposition qui garanti le droit à la légitime défense aux état-partis en cas d’agression armée contre leurs institutions et qui d’ailleurs est presque reprise par l’article 31c des motifs d’exonération de la responsabilité pénale du Statut de Rome. Ce chapitre rend ainsi légales et légitimes les différentes réunions de crises tenues par M. Laurent Gbagbo et son entourage immédiat ainsi que les opérations de maintien de paix menées par les forces régulières contre les attaques rebelles.

Pour terminer, nous pensons que la rigueur des juges permettra à la politique de quitter le prétoire pour laisser au droit la chance d’être dit pour que nos deux personnalités recouvrent la liberté. Faire autrement, reviendrait à convaincre tous ceux qui hésitaient jusque là à réaliser que la perte de la liberté de M. Gbagbo est justifiée par l’obtention de ses bourreaux d’un plus grand bien : le maintien de M. Ouattara au pouvoir. Une telle option ne serait pas conforme à la notion de justice comme équité tel que décrite par le philosophe politique John Rawls dans la« Théorie de la Justice ».

A la lumière de ce qui précède, nous appelons à la sagesse des juges de la CPI pour qu’ils saisissent l’occasion que leur offre la défense pour prononcer l’acquittement sans conditions de nos deux leaders. Nous leurs faisons confiance. 

Arsène DOGBA

Politologue

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