Disparition d’Ahmed Kathrada, proche compagnon de lutte de Mandela
Fils d’émigrés indiens, Ahmed Kathrada fut un membre éminent de l’ANC et très proche ami et conseiller politique du premier président noir de l’Afrique du Sud.
Il avait été détenu à Robben island avec Mandela et les autres leaders du Congrès national africain (ANC). A sa sortie de prison, il a notamment oeuvré pour perpétuer la saga de la lutte contre l’apartheid en faisant personnellement visiter aux touristes éminents et moins éminents venus du monde entier le pénitencier de Robben island.
Avec Ahmed Kathrada, dont le décès a été annoncé ce 28 mars 2017, disparaît un pan important de l’histoire sud-africaine contemporaine. Il était simplement « Kathy » pour ses amis de la classe politique sud-africaine dont beaucoup se souviennent encore avec émotion du bel hommage que ce proche parmi les proches avait rendu à Mandela lors de la disparition de l’icône en 2013. Compagnon de route du père de la nation arc-en-ciel depuis les années 1940, « Kathy » faisait partie avec Madiba et Walter Sisulu des huit accusés du célèbre procès de Rivonia. Condamnés tous à perpétuité, ils partagèrent 26 ans de leur vie en prison, d’abord sur Robben Island, au large du Cap, avant d’être transférés en 1982 dans la prison de Pollsmoor à Cape Town.
Dans ses Mémoires publiées en 2004, Ahmed Karthada a raconté ses premières impressions de l’île lorsqu’il y est arrivé avec les autres condamnés, en juin 1964, en plein hiver austral : « Une pluie glaciale, des vents violents et des gardiens armés de fusils automatiques nous attendaient à la sortie de l’avion », a-il écrit. Plus loin dans son livre, l’ancien locataire de l’ile-prison s’est remémoré les défis de la vie en prison: « Si je devais qualifier en un mot notre vie à la Robben Island, je dirais qu’elle était « froide ». Froide comme la nourriture qu’on nous servait, froide comme la douche, froides comme les rafales de vent qui arrivaient de la mer, froids comme nos geôliers… »
Fils d’un épicier indien
Né en 1929, dans une famille d’émigrés indiens venus de Surat, dans le Gujarat (en Inde), le jeune « Kathy » a grandi à Schweizer-Reneke, une petite ville agricole du nord-ouest de l’Afrique du Sud. Son père tenait une épicerie fréquentée essentiellement par des Indiens et des Africains, mais aussi par des blancs pauvres qui, aimait raconter Kathrada, ne savaient pas que les « gens de couleur » ne votaient pas dans l’Afrique du Sud blanche et demandaient à son père pour quel parti il allait voter aux prochaines élections.
Très tôt politisé, le jeune homme avait rejoint la Jeunesse communiste sud-africaine à l’âge de 12 ans et avait quitté l’école à 17 ans pour militer à plein temps au sein des antennes locales du Congrès indien de l’Afrique du Sud. Ces militants réclamaient la fin des discriminations dont étaient victimes les Indiens depuis leur installation en Afrique du Sud au XIXe siècle. La mise en place par Pretoria à partir de 1948 de la ségrégation institutionnalisée (« apartheid ») a créé les conditions d’un rapprochement entre les jeunes indiens et les militants du Congrès national africain. Ils participaient ensemble à des campagnes de défiance contre les restrictions imposées à la population non-européenne. C’est dans ce contexte que Kathrada fit la connaissance des leaders de l’ANC dont Nelson Mandela.
Le défunt se souvenait d’avoir rencontré la première fois celui qui deviendra son mentor, chez un homme politique indien à Johannesburg, à la fin des années 1940. « J’étais encore au lycée, aimait-il raconter. Mandela impressionnait beaucoup nous les jeunes Indiens car il venait habillé en blazer, très élégant, alors qu’à l’époque les non-Européens n’osaient pas bien s’habiller. » Leur premiers échanges furent pourtant plutôt tendus à cause de l’anticommunisme viscéral que professait Mandela à l’époque, mais cela ne les a pas empêchés de se fréquenter et devenir amis. « J’étais en désaccord avec lui, mais j’aimais sa passion », a écrit Madiba dans la préface qu’il a signée en ouverture des Mémoires de son ami Kathrada, de onze ans son cadet.
Condamnés à perpétuité à Robben Island
C’est pendant le procès de Rivonia que les deux hommes ont vraiment appris à se connaître. Ahmed Kathrada avait entretemps rejoint l’ANC, parti interdit dès 1960 par le gouvernement de Pretoria. Pendant un temps, il a même fait partie de l’Umkhonto we sizwe (« la lance de la nation »), l’aile militaire de l’ANC. Il se réunissait avec ses compères de l’ANC et leurs alliés communistes dans une ferme de Lillieslef, à Rivonia, dans la banlieue de Johannesburg. Mais en juillet 1963, les autorités ont eu vent de leurs activités. Elles ont alors envoyé la police prendre d’assaut la ferme et arrêter les conjurés en pleine réunion. Accusés de sabotage et de vouloir renverser le gouvernement, ils risquaient la peine de mort.
Kathrada restera marqué à vie par le discours prononcé par Mandela pendant le procès, affirmant son attachement à « une société libre et démocratique dans laquelle tous les hommes vivraient en harmonie et avec des chances égales ». « C’est un idéal pour lequel, s’il le faut, je suis prêt à mourir », avait déclaré le détenu le plus célèbre du monde. Est-ce l’intérêt médiatique pour le procès que l’éloquence de Mandela avait réussi à susciter, qui a sauvé les accusés de la pendaison certaine ? Difficile de répondre. Toujours est-il que, en les faisant condamner à la perpétuité doublée de travaux forcés, les dirigeants espéraient que l’opinion publique, notamment internationale, finirait par les oublier.
Tout a d’ailleurs été fait pour qu’on les oublie. Ils ont été envoyés à la prison de sécurité maximale de Robben island où ils étaient contraints de travailler dans une carrière de calcaire et de casser des cailloux du matin au soir. Ils étaient coupés du monde extérieur et interdits de la moindre visite. Ils subissaient aussi constamment des brimades et des humiliations aux mains des gardiens sans cœur. Karthada raconte dans ses Mémoires que certains courriers de sa famille ne lui ont pas été remis parce qu’ils faisaient référence à l’arrivée au pouvoir du parti Labour à Londres. Ces dangereux communistes ! Les photos de sa petite amie d’origine européenne ont été détruites sous ses yeux parce que l’apartheid interdisait tout mélange des races. L’objectif était de briser le moral des prisonniers, en les obligeant à se soumettre aux volontés des gardiens.
Mais c’était sans compter avec la capacité de résilience de ces hommes exceptionnels. Durant ces années en prison, Karthada qui avait 34 ans quand il a débarqué sur Robben Island, a repris ses études pour passer par correspondance un baccalauréat spécialisé en histoire et politique africaine. La prison fut aussi une formidable opportunité pour ce trentenaire d’apprendre à diriger les hommes, en regardant faire ses aînés, notamment Mandela qui tentait de réunir autour des idéaux communs la trentaine de prisonniers politiques détenus à Robben island.
« Nelson Mandela se distinguait par son assurance et sa largeur d’esprit,» avait raconté Karthada en 2013 à des journalistes français, évoquant ses souvenirs de prison. « Il ne faut pas oublier qu’il était issu d’une famille royale, ajoutait-il. Il ne considérait pas ses opposants comme ses ennemis mais comme des rivaux politiques. Pendant les dix-huit années de prison que nous avons passées ensemble à Robben Island, avant d’être transférés dans la prison de Pollsmoor à Cape Town, il fut pour moi une source constante de réconfort, d’encouragement et d’inspiration. »
Libre enfin !
C’est en octobre 1982 que Karthada a quitté Robben Island pour la prison de Pollsmoor où les autorités avaient transféré quelques mois plus tôt Mandela et Sisulu, sous la pression de la communauté internationale. Karthada avait soixante ans quand il est sorti finalement de prison le 15 octobre 1989. Il avait été détenu en tout vingt-six ans et trois mois. A sa libération, il avait eu droit comme ses autres camarades à un accueil triomphal à Soweto.
Le pays avait définitivement changé. Dans cette nouvelle Afrique du Sud où le pouvoir a enfin changé de main avec la tenue en 1994 des premières élections au suffrage universel, l’Indien de l’ANC a d’abord joué un rôle de premier plan en tant que député au parlement national, puis en tant que conseiller politique à la présidence, avant de se retirer de la vie politique en 1999, en même temps que son mentor et grand frère Nelson Mandela. Il avait entretemps créé sa propre fondation destinée à poursuivre la lutte contre les discriminations raciales en Afrique du Sud et à travers le monde.
Mais le rôle qu’Ahmed Karthada préférait jouer, c’était celui du guide des visiteurs du pénitencier de Robben Island transformé depuis 1996 en musée. Parmi les touristes éminents et moins éminent, il y a des hommes d’Etat, des icônes des lettres et des arts, des sportifs, des professeurs, des étudiants, des hommes d’affaires, venus du monde entier. Fidel Castro, Yasser Arafat, Barack Obama, Gerry Adams sont quelques-uns des 300 visiteurs que Kathy a accompagnés dans les cellules des prisonniers entrés dans la légende du mouvement de libération. Robben island a été témoin de l’esprit indomptable de ces pères fondateurs de la démocratie sud-africaine.
Pour conclure, donnons la parole à Kathrada. Expliquant le sens de son retour dans les lieux de son incarcération, l’homme écrivait dans l’un de ses derniers ouvrages intitulé Triumph of Human Spirit (Le triomphe de l’esprit humain) : « Nous n’oublierons jamais la brutalité de l’apartheid, mais pour autant nous ne voulons pas faire de Robben island un monument qui perpétue la mémoire de nos épreuves et nos souffrances. Au contraire, nous voulons que ce pénitencier soit le symbole de la résistance de l’esprit humain contre les forces du mal, celui du triomphe de la sagesse et de la largeur d’espit face à l’étroitesse et la mesquinerie, celui du courage et de la détermination sur les faiblesses de la nature humaine. Enfin, nous voulons qu’il soit le symbole de la victoire de la nouvelle Afrique du Sud sur l’ancienne ».
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