L'Afrique doit oublier les anciens accords de coopérationA LA UNE AFRIQUE 

ABSENCE DE DOCUMENTATION ET MÉMOIRE PERDUE

L’Afrique est le continent de l’oralité. « Verba volant, scripta manent » (les paroles s’envolent, les écrits restent). Certes,  aujourd’hui les paroles peuvent rester du fait de la conservation par l’enregistrement sonore ou audiovisuel. Mais il faut enregistrer et  conserver avec soins, pour un accès permanent et un usage aisé. En cela, la documentation et les archives constituent l’âme de toute organisation, publique ou privée.

Elles relèvent du rapport au temps et à la nécessité de disposer d’une mémoire,  pour gérer le présent et penser l’avenir, pour ne pas avoir à panser constamment. Cette  activité révèle également le degré d’organisation d’un service, d’une collectivité et même d’une communauté. Malheureusement, les États africains et leurs démembrements (institutions, administrations, collectivités territoriales, etc.), à quelques exceptions près, négligent voire ignorent ce secteur crucial pour leur organisation et leur fonctionnement. Il en est de même pour les organisations internationales régionales et sous-régionales. Ce fait représente incontestablement un handicap majeur pour l’efficacité de la gestion en Afrique.

Comment prendre une décision judicieuse, planifier les objectifs et les activités si on ne dispose pas de documents sur les données et surtout les les résultats des gestions précédentes ? Comment peut-on effectuer des recherches, pour les étudiants et les chercheurs, sur un organisme ou une activité ou encore un événement en l’absence de documents authentiques,  fiables et crédibles ? Autant de questions qui interpellent la conscience des dirigeants africains pour pouvoir gérer leurs États avec professionnalisme et obtenir des résultats probants.

Qui dispose de l’information dispose du pouvoir ! « Connais toi toi-même », pour mieux apprécier tes atouts et tes limites avant d’entrer en relations, en négociations avec les autres. L’absence de documentation et d’archives,  constituées  par l’Afrique elle-même, la rend vulnérable dans les relations (politiques et économiques)  internationales et même dans les rapports avec les partenaires sociaux.

Les ministères en charge de la culture, généralement au bas de la liste protocolaire des membres du gouvernement, avec des budgets peu significatifs méritent d’être perçus autrement. Ils pourraient utilement bénéficier de plus d’égards, pour pouvoir entrer dans une dynamique nationale d’affirmation d’identité, d’autonomie de pensée et de promotion du développement durable. Le ministère de la culture a la responsabilité de contribuer à faire de la documentation et des archives un secteur prioritaire. Il faudrait commencer par la culture pour l’ordre, la cohérence, l’histoire et la  mémoire, en un mot l’efficacité dans la gestion du pays.

Avoir des repères permet de gagner du temps et envisager des décisions raisonnées, adossées à des outils intellectuels et conceptuels fiables, compréhensibles et mesurables. Ce qui peut aider à l’évaluation rationnelle et objective des politiques publiques. Il s’agit véritablement d’éviter la navigation à vue, source de déperdition des énergies et des ressources, préjudiciable à la recherche de résultats adéquats. Savoir d’où l’on part pour mieux comprendre et savoir où l’on va!
En définitive, gérer c’est s’inscrire dans une dynamique historique -une dimension importante-, afin d’espérer susciter le développement d’une organisation ( structure privée ou service public) pour la satisfaction du public, collectivement ou individuellement.

La connaissance de l’organisme par la maîtrise de ses données, anciennes et actuelles voire futures, sa trajectoire, constitue un atout majeur pour  la réussite de la mission et surtout l’entrée honorable du dirigeant dans la mémoire collective, une reconnaissance . Dans certaines sociétés, cela est une source de motivation  suffisante et permet de faire avancer sur le chemin de la prospérité générale, la cohésion sociale et la paix.      

L’Union africaine pourrait à toutes fins utiles, si ce n’est déjà fait, consacrer une année à la sensibilisation et à la promotion de la documentation et des archives pour  que celles-ci entrent définitivement dans la culture de gestion publique en Afrique. En attendant, chaque État gagnerait à accorder une attention particulière à la conservation et la gestion efficientes des données documentaires dans son organisation et son fonctionnement, pour retrouver son histoire, son âme et son équilibre.

Pour la Côte d’Ivoire particulièrement, la structure en charge de la gestion des archives nationales est largement dépassée au niveau infrastructurel. Elle se trouve d’ailleurs confinée dans un espace de promiscuité dans les locaux de la Primature, d’un accès pas facile. Ces deux facteurs déjà sont handicapants pour simplement parvenir à un accomplissement basique de ses missions. Il est donc urgent d’en faire une priorité nationale pour une visibilité et la promotion d’une politique documentaire, culturelle et intellectuelle de ce grand pays africain, qui devrait pouvoir puiser dans son âme pour se fortifier.

La Bibliothèque nationale, quant à elle, apparaît visiblement « essoufflée », malgré un management professionnel, faute de moyens certainement. Elle mérite également une attention soutenue pour pouvoir jouer pleinement son rôle. Combien de services publics ivoiriens ( Grandes institutions, ministères, administrations centrales, EPN, préfectures, conseils régionaux, mairies, etc.) disposent-ils tout simplement d’une structure de documentation et d’archives ? Les partis politiques et autres organisations sociales alors !

Le rapport des Africains à l’espace, l’adressage des rues, et le rapport au temps, l’archivage, constituent deux problèmes cruciaux à résoudre sérieusement pour espérer entrer véritablement dans des sociétés de structuration et d’organisation, en vue du développement réel et durable.

Novembre 2022
        Pierre AYOUN N’DAH 
        Docteur en Droit public
        Ancien professeur permanent à l’ENA  de  Côte d’Ivoire 

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