Chine: Désillusion à Canton, «la petite Afrique» chinoise se vide
Devant l’Assemblée nationale populaire, dimanche 5 mars, le Premier ministre chinois a revu à la baisse les prévisions de croissance pour 2017, à 6,5 %.
Un essoufflement qui inquiète aussi à Canton, où des milliers d’Africains ont élu domicile, attirés par le miracle chinois. Aujourd’hui, ces commerçants s’interrogent : les marchandises et le dollar sont devenus trop chers, le visa difficile à obtenir. Las des tracasseries, beaucoup quittent « la petite Afrique ».
De notre correspondante à Pékin,
Derrière la façade aux allures de temple grec, le royaume de la contrefaçon chinoise. Bienvenue au « Centre mondial du commerce de cuir Baiyun-Guangzhou ». Sur 12 étages, des boutiques vendent des portefeuilles, des chaussures et des sacs à main. C’est ici que Felly Mwamba, 38 ans, vient faire ses provisions. « Ce sont des imitations, mais elles sont de bonne qualité. Toutes les marques sont là : Gucci, Chanel, Dior, pour seulement 50 ou 100 euros, vous pouvez avoir votre sac et en être fière ! », lance ce solide gaillard en repartant avec quelques beaux modèles en cuir, commandés par des femmes de la classe moyenne à Kinshasa.
De ces contrefaçons, mais aussi de meubles, de chaussures ou de toute autre marchandise fabriquée sur les chaînes de production de la province du Guangdong, surnommée « l’usine du monde », Felly Mwamba fait son fonds de commerce depuis 14 ans. Pendant longtemps, tous ces produits bas de gamme étaient très demandés chez lui, en République démocratique du Congo. Mais aujourd’hui, le rêve de Felly, et celui de tant d’autres venus faire fortune dans l’export, n’est plus qu’illusion. « A l’époque, je pouvais envoyer chaque année 15 containers vers l’Afrique », explique ce commerçant, l’un des piliers de la communauté congolaise de Canton. « Mais en 2016, je ne suis pas allé au-delà de quatre containers. »
« Chocolate City » se vide au fur et à mesure du ralentissement économique
Sur les étals des épiceries du quartier Xiaobei, surnommé « la petite Afrique » ou « Chocolate City » par les Chinois, le chou chinois côtoie encore des bananes plantain. Des agences de transport maritime proposent leurs services « porte-à-porte » entre la Chine et le Nigeria, le Congo, l’Ouganda ou encore le Cameroun. Mais nombre de restaurants halals, tenus par des membres de la minorité chinoise des Ouïghours turcophones et musulmans, ont mis la clé sous la porte. « Il n’y a plus rien ici, ni travail ni commerce, c’est très dur, nous vivons tous à crédit », se plaint Ibrahim, un Sierra-Léonais de 30 ans. « En plus, ajoute-t-il, les Chinois nous contrôlent matin, midi et soir, et il est de plus en plus dur d’obtenir un visa. »
Canton, plaque tournante du commerce extérieur et longtemps l’Eldorado des commerçants africains, se vide au fur et à mesure du ralentissement économique. Des 20 000 à 30 000 membres de la communauté africaine, la plus grande de l’Asie, n’en resteraient que quelques milliers tout au plus. Les uns repartent en Afrique, les autres tentent leur chance là où la main-d’œuvre est moins chère, comme au Vietnam. Le Congolais Felly Mwamba regrette que nombre de ses compatriotes soient déjà partis, tout en songeant lui aussi à quitter la Chine : « Si vous n’arrivez plus à vendre votre marchandise normalement en Afrique, alors dites-moi, pourquoi encore revenir ? »
A quelques kilomètres de là, les allées du marché de vente en gros Guangda sont désertes. Des tas de t-shirts encore emballés s’empilent devant les boutiques. Faute de clients, cette patronne d’un magasin de vêtements, drapée dans son manteau en faux cuir rouge, regarde un feuilleton sur son petit écran. « Il y a quelques années, je vendais super bien, mais là il n’y a plus personne, confie-t-elle. Pourtant, les Africains nous achetaient des grandes quantités, 700 voir 800 pièces. »
Quelques rares commerçants sont encore en quête de bonnes affaires, comme ce jeune Ethiopien qui vient d’acheter plusieurs dizaines de blousons pour les vendre dans sa boutique à Addis-Abeba : « Comme je suis un bon client, ils m’accordent un prix abordable, je ne paie que 6 euros pièce. Chez moi, je peux les vendre à 19 euros. »
« La Chine passe un long hiver économique »
Un tiers des clients ici sont des commerçants africains. Le marché en dépend, admet la gérante Yuna Wu : « Beaucoup d’usines de textiles dans la province du Guangdong ont déjà dû fermer. La demande intérieure est faible. Pour écouler nos stocks, nous devons donc exporter vers l’Afrique et le Moyen-Orient. La Chine passe un long hiver économique. Le prix des matières premières a augmenté, ceux de la main-d’œuvre et donc de la production aussi. »
Entre 2005 et 2016, le salaire des ouvriers chinois a triplé. Selon une étude publiée ce mois par « Euromonitor International », le tarif par heure est désormais de 3 euros, plus élevé donc que celui d’un ouvrier brésilien ou thaïlandais et à peine en dessous du salaire d’un ouvrier grec (4 euros/heure).
« A quelque chose, malheur est bon »
Jocelyn Nhalocky, patron d’une entreprise import-export, en sait quelque chose. Cet homme d’affaires togolais négocie dur pour baisser le prix du matériel de construction qu’il vend en Afrique. « Le prix n’est plus très compétitif, estime-t-il, les clients se demandent pourquoi ils devraient acheter en Chine alors qu’ils peuvent avoir quasiment le même prix en Europe ou aux Etats-Unis, où il n’y pas de souci pour la qualité. » L’inflation en Afrique avec le dollar devenu cher n’arrange rien. Mais cet homme souriant et jovial préfère rester philosophe : « A quelque chose, malheur est bon. » Riche de son expérience chinoise, il songe à créer une entreprise chez lui au Togo.
Les horloges au-dessus du comptoir de l’hôtel Tianxiu, dans le quartier de Xiaobei, affichent encore l’heure de Bamako et de Brazzaville. Mais personne n’y prête plus attention. Dans le hall de la tour décrépie, quelques Maliens affalés sur de vieux fauteuils bavardent. Il n’y a plus grand-chose à faire ici pour ces hommes d’affaires venus d’Afrique.
rfi Afrique