Corruption à AbidjanINVESTIGATION 

Côte d’Ivoire, le sujet qui fâche.

Comme du titre de la chanson de Dalida « parole, parole, parole » d’où est extraite cette séquence : Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots, des mots faciles, des mots fragiles (…) et encore des paroles que tu sèmes (…) des mots magiques et des mots tactiques qui sonnent faux (…).


En a-t-on fini avec la réconciliation nationale ? A-t-elle vraiment abouti ? Pourquoi vouloir faire ressurgir les vieux démons ? Au profit de qui ? Les Ivoiriens aspirent à la vie et non à la mort. En ont-ils pleinement conscience, ces illuminés politiques ? Voudrait-on battre le record en 2025 de 2011 avec son lot de 3 000 pertes en vies humaines, 1.000.000 de déplacés internes et plus de 300.000 réfugiés dans des pays de la sous-région notamment au Libéria, au Ghana, au Togo, au Mali et en Guinée lors de la crise post-électorale ?

Indépendante depuis 1960, la Côte d’Ivoire a fait difficilement sa mue vers la démocratisation, tournant dos ainsi au monopartisme. De 1990 à 2024, voici 34 ans de marche vers la démocratie. Dans cette marche vers l’émergence, la Côte d’Ivoire a connu des crises sociopolitiques qui ont mis en mal son harmonie par soit la parole de trop, soit la parole de moins et soit l’absence de parole.

L’activité favorite de certains ivoiriens est devenue, ces derniers temps, la recherche de nouveaux sujets de polémiques. Certains attribuent cette nouvelle tendance à l’existence des réseaux sociaux qui permettent à tout le monde de s’exprimer en toute liberté, et d’autres au fait que les vieux démons de la guerre et des années de conflits sanglants n’ont jamais vraiment disparu et réapparaissent à la moindre occasion. C’est notamment ce qui se passe lors des débats publics auxquels la classe politique est invitée par l’entremise de quelques représentants sur des plateaux. A défaut, les prises de paroles publiques deviennent très préoccupantes. Chose qui laisse entrevoir que le problème de notre société, c’est sa classe politique. A telle enseigne qu’ils font croire implicitement à toute l’opinion qu’ils sont prêts à revivre 2010 pour leurs seuls intérêts. D’où l’expression chez certain de match retour. Cette fois, certains cherchent à réveiller les vieux démons enchaînés et enfuis dans les berges de la lagune Ebrié depuis les tristes pages de 2010-2011. La nouvelle tournure est dramatique et annonciatrice d’un très mauvais chemin si l’on ne prend garde.

Le contexte électoral de la présidentielle de 2010 redevient le thème controversé et le sujet numéro 1 dans les médias et dans les talk-shows politiques. La fameuse division des années de guerre sur le fait du contentieux électoral remonte à la surface avec une grande violence verbale, comme si entre-temps il n’y avait pas eu de nombreux développements qui auraient dû modifier les priorités de cette classe politique. Mais on dirait que les vieux réflexes sont toujours prêts à rejaillir, encouragés sans doute par une classe politique qui, pour cacher ses nombreux échecs, ne trouve rien de mieux que de raviver les instincts de guerre.

Bien que les états-majors des deux camps protagonistes d’hier aient insisté avec des slogans tels que : la guerre est derrière, la Côte d’Ivoire avance par la brillante organisation de la CAN remportée par les nôtres, cette convergence de vue pour la forme sur la qualification idéelle de la Côte d’Ivoire révèle leurs incompréhensions. Le malaise censé avoir disparu connait un regain d’intérêt. Au point que des personnalités proches des deux camps s’empressent d’intervenir pour nourrir et amplifier la polémique. Quand ce n’est pas TOURE Mamadou qui répond à Katinan KONE, c’est CISSE Bacongo qui répond à GBAGBO Laurent. Quand le contenu des discours pendant la marche du 13 avril 2024 organisée par le PPA-CI France est agressif et factieux, quand un Ministre du gouvernement affirme avec aisance et sans modestie « je ne sais pas comment on peut nous enlever de là où nous sommes », c’est difficile de ne pas craindre. Le tout dans une forme expressive éloignée de la courtoisie.

Arrêtons de provoquer les événements. Le fond n’est pas agréable. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Se tromper est humain, persévérer (dans son erreur) est diabolique. Ce spectacle désolant est une gifle pour les victimes de la crise post-électorale et un revers pour les acquis de tous ordres du moment. Ce souhait de match retour a le mérite de saper tout le travail qui a consisté à asseoir les piliers de la réconciliation et de la cohésion. Ce revers fait craindre, surtout, un réveil des vieux démons.

Malgré la création de structures pour la recherche de la vérité, l’identification des victimes et leurs ayant droits : la Cellule Spéciale d’Enquête et d’Instruction (CSEI) en 2011, la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) en 2012, le Programme National de Cohésion Sociale (PNCS) en 2012, la Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (CONARIV) en 2015, la Commission Nationale des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDHCI), la création de la Commission de Restitution des biens publics et privés occupés illicitement et la création d’un ministère dédié pleinement à la Réconciliation nationale le 15 décembre 2020, dont l’intitulé et les missions ont été élargis à la Cohésion Nationale en avril 2021, la classe politique voudrait, à nouveau s’assimiler à un incendiaire obéissant à l’impulsion obsédante d’allumer des incendies.

Le passé, c’est comme un sac à dos. On le met sur notre dos et on le porte jusqu’à notre dernière respiration, confie Spomenka Adzic (victime et exilée de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Le conflit a fait près de 100 000 victimes, dont plus de 30 000 Serbes de Bosnie, comme les Adzic). La blessure reste tout le temps, elle n’est pas guérie.

Si l’on considère que l’animation actuelle du débat politique ivoirien pour 2025 est en train de germer et d’être forgée sur l’humus de 2010-2011, c’est qu’on est loin d’avoir tiré toutes les leçons. 2015 et 2020 n’avaient alors rien comme substance réelle pour l’enjeu électoral. Sur ces entrefaites, en a-t-on fini avec la réconciliation nationale ? A-t-elle vraiment abouti ?

Je m’interroge, en attendant la prochaine polémique.

Benoît Kouakou

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