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FRANCE-CÔTE D’IVOIRE : il faut assumer l’histoire

Les legs de l’histoire font partie de la vie et de la marche d’une nation. Pour la France et la Côte d’Ivoire, respectivement puissance colonisatrice et ancienne colonie, des relations en dents de scie peuvent être relevées depuis l’indépendance, le 7 août 1960.

Les relations entre les deux pays furent de confiance, de solidarité et de fidélité à toute épreuve avec le Président   HOUPHOUËT-BOIGNY. Une période relativement, pour le moins, impersonnelle  avait caractérisé les rapports avec le Président Henri KONAN BEDIE. Une hostilité ouverte allant jusqu’à l’affrontement armé, dans le contexte de la crise post-électorale de 2010, a marqué les relations avec le Président Laurent GBAGBO. Une proximité certainement au-delà des relations d’État à État illustre les liens avec le Président Alassane OUATTARA.

Il ne faut pas se voiler la face. La Côte d’Ivoire particulièrement sa capitale économique, Abidjan, apparaît comme un succédané de France, à l’échelle africaine. Et puis, à l’observation la France est au monde ce que la Côte d’Ivoire est à l’Afrique : deux terres d’immigration. A l’aune des relations franco-africaines, la Côte d’Ivoire jouait, et presque de droit, un rôle de sismographe. La Côte d’Ivoire pourrait même être qualifiée , jusqu’à une période relativement récente, de pays le plus francophile au monde.

La Côte d’Ivoire, la benjamine des colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF), avec pour capitale Dakar, au Sénégal, était normalement dépourvue de ressources. Sa trajectoire économique et sociale exceptionnelle s’expliquerait par les relations de confiance, d’admiration et de respect réciproques entre deux hommes d’État, le général De GAULLE et le président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY.

La Loi-cadre de 1956 dite Loi Gaston Defferre a accordé une autonomie interne aux territoires d’expression française. Avec la Communauté franco-africaine, la marche vers l’indépendance se précisait, malgré le désir de la France de maintenir ses territoires dans un même ensemble. Alors Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, le leader ivoirien disait « avoir attendu le projet de Communauté comme une fiancée sur le parvis de l’église, les fleurs fanées à  la main ». Son enthousiasme pour l’indépendance n’a sûrement pas été débordant.

Au moment de l’indépendance, à l’heure de la séparation, HOUPHOUËT-BOIGNY, le président du nouvel État, s’adresse ainsi à De GAULLE :  » Mon général, ce n’est pas un adieu. Ce n’est qu’un au-revoir ! » A cela, le Président français répond :  » Monsieur le président, sur les relations entre la France et la Côte d’Ivoire, je ne vois aucune ombre, mais beaucoup de lumière ! »

Sur cette base, à défaut d’instituer des liens organiques avec la France (DOM-TOM), la Côte d’Ivoire va engager un partenariat privilégié pour sa défense, sa sécurité et son développement. Cette option se concrétise par un programme volontariste et massif d’assistance technique dans les secteurs essentiels de la vie nationale. La gestion des institutions de l’État et de l’administration publique fait partie du champ de la coopération française. La France a véritablement accompagné la Côte d’Ivoire dans son évolution, son ascension fulgurante, son rayonnement international au point d’être qualifiée de « vitrine de l’Occident « . Le mimétisme culturel a fait de la société ivoirienne un reflet, en milieu urbain, de l’inspiration française. Paris, la France, l’Occident, c’est « Bingué », les binguistes,  dans le jargon local, le nouchi. Ainsi, la dénomination des voies est une illustration vivante de cette consubstantialité.

Visiblement, les principales artères de la capitale économique, Abidjan (Babi), ville cosmopolite, portent des noms de personnalités françaises de la colonisation et après. Les boulevards Général De Gaulle, Valéry Giscard D’Estaing (VGE), François Mitterrand, de France, Angoulvant, Lattrille, Mermoz;  pont Général De gaulle, camp Galiéni, etc. Les avenues ou rues Marchand, Gourgas, Chardy, Reboul, Botraux-Roussel, Carde, Achalme, Crosson-Duplessis, Terrasson de Fougères, etc. Presqu’exclusivement dans la seule commune du Plateau, le quartier des affaires et siège du gouvernement, sur une superficie de 3,945 km2.

Des voix s’élèvent depuis longtemps pour dénoncer cet état de fait. Mais en toute lucidité, à part Abidjan, structurée par le pouvoir colonial, quelle autre ville de la Côte d’Ivoire bénéficie réellement d’un adressage? Absence de culture de structuration, d’organisation et d’orientation dans l’espace ! Alors, il serait préférable de rechercher une synthèse harmonieuse marquée du sceau de la continuité historique, une réalité à ne pas occulter. L’histoire  est un témoignage indélébile qui demeure dans la mémoire des hommes,  quelle que soit la volonté de l’effacer. La réflexion, nationale, devra nécessairement être menée avec le concours des instances françaises compétentes, pour gérer cette question avec efficacité, élégance et responsabilité.

A un autre niveau, encore plus important, sensible et déterminant, on pourrait utilement relever les rapports entre les populations, française et ivoirienne, dans l’un et l’autre pays.

Au moins cinquante mille ( 50.000 ) Français résidaient en Côte d’Ivoire à l’indépendance, en 1960. Ils seraient moins de 10.000 (dix mille) aujourd’hui.

Si l’on avait suivi le président Houphouët, certainement que de nombreux ressortissants français auraient volontairement associé leur destin à celui du nouvel État ivoirien. Cette configuration aurait sans doute permis de renforcer les capacités ivoiriennes de négociations internationales. Elle aurait également favorisé la coopération décentralisée à travers des jumelages entre régions, villes et villages, pour le développement local. Quatre personnalités d’origine française ont même appartenu aux gouvernements successifs du pays juqu’en 1966.

Les Ivoiriens, les Africains en général , sont heureux et fiers d’apprendre la promotion d’un des leurs dans les hautes instances françaises. Il en est ainsi, par exemples, de Koffi Yamgnane, maire puis ministre, Rama Yade, ministre, Sibeth NDIAYE, ministre et porte-parole du gouvernement, Pap NDIAYE, Hervé Berville, ministres et, récemment, Rachel Kéké Raïssa, Ivoirienne d’origine, élue députée en juin 2022. Rachel Kéké, née en 1974 à Abidjan, d’extraction modeste,  est arrivée en France en 2000 et a acquis la nationalité en 2015.

Il apparaîtrait que sept cent quarante quatre mille (744.000) Ivoiriens résident, officiellement, en France.

A contrario, les Africains y compris naturellement les Ivoiriens sont sourcilleux, parfois ombrageux voire hystériques de constater la présence d’un Français, un Blanc, dans le plus modeste des services de l’administrations nationale. Pendant la colonisation, les populations françaises et africaines ont vécu juxtaposées sinon superposées, avec des rapports marqués par la violence physique et psychologique. Cela a laissé des stigmates. Il faut donc parvenir à décomplexer ces relations au quotidien. Ce n’est déjà pas facile au niveau officiel!

Quand un Président français invite de jeunes Africains à une rencontre en France, pour parler de l’Afrique et des relations entre son pays et le continent, en contournant les pouvoirs institutionnels africains… Aucune réaction de l’Union africaine (U.a)! Quand des ministres français traitent de questions de politique intérieure de pays africains à l’Assemblée nationale française.. Certains, parfois comme des VRP. Il y a de quoi à s’interroger sur la légalité, la légitimité et la pertinence de telles pratiques  au regard de la loyauté à leur responsabilité politique en France.

La rénovation des relations entre la France et la Côte d’Ivoire, et au-delà,  l’Afrique,  aura nécessairement besoin de personnalités de conviction, d’engagement et d’espérance humaine partagée. Les autorités françaises, jadis, étaient attachées au respect des symboles et des formes dans la gestion des relations  entre États.

Savez-vous pourquoi le général De GAULLE n’est plus retourné en Afrique après les indépendances ? Il reprochait aux nouveaux dirigeants de s’être « précipités » dans les Palais construits par la France. Où allait-il séjourner pendant ses visites officielles ? Certes, le Président HOUPHOUËT-BOIGNY avait construit, en un an, un nouveau Palais, mais sur le site du Palais des gouverneurs qu’il a fait détruire. Au passage, les Palais des gouverneurs respectivement à Grand-Bassam et à Bingerville font aujourd’hui partie de notre patrimoine national négligé et délaissé. L’un est devenu le musée du costume et de l’habitat et l’autre un…orphelinat. Ils auraient pu être destinés à la fonction de résidence secondaire où le président de la République pourrait se ressourcer en tant que de besoin.
 

Manifestement, notre rapport au patrimoine national bâti (bâtiments et monuments) ainsi qu’à l’environnement reste énigmatique. Qu’avons-nous fait des fabuleux édifices et autres bâtiments coloniaux chargés d’histoire, situés tout au long de la Côte, d’Assinie, Grand-Bassam au Sud -Est à Tabou, Sassandra dans le Sud -Ouest? Que sont-ils devenus ces joyaux architecturaux de Grand-Bassam, première capitale de la Côte d’Ivoire (1893-1900), particulièrement au quartier…France? Où en sommes-nous avec la réhabilitation de la première école française créée  le 8 août 1887, par Arthur Verdier, à Élima, près d’Assinie, dans le Sud Comoé (Aboisso) ?

Située à  94 kilomètres d’Abidjan, Assinie, commune du Sud-Est, à la frontière du Ghana, est une station balnéaire. Elle est le village d’origine du Prince Aniaba, qui a séjourné à la Cour du Roi Louis XIV, au Château de Versailles, à partir de 1687. Il est rentré dans son pays en juillet 1701.
Une histoire longue et mythique avec la France. A l’image de la construction du pont de lianes, en pays yacouba ou dan, dans l’ouest ivoirien. Le pays a t’il su tirer le meilleur de ce partenariat stratégique et unique ? Au départ oui, mais plus problématique par la suite. Notre administration publique était professionnelle et performante.  L’éducation nationale était d’une qualité réelle et un modèle pour la sous-région. Le système de santé rassurait. La recherche scientifique était dynamique, compétitive et fructueuse. La réduction progressive du nombre de coopérants, à partir de 1985, sans préparation de la relève, entraînait par la même occasion la baisse de l’intégrité et de la qualité du service public.

On avait tant espéré des indépendances pour l’émancipation africaine. La montagne aura t’elle accouché d’une souris ? En réalité, à l’indépendance les pays africains avaient hérité d’un État. Il revenait à l’État -pouvoir régulateur- de bâtir une nation, généralement à partir d’une multitude d’ethnies à rassembler, pour la paix et le développement.  

Malheureusement l’État ivoirien, comme tout État africain francophone, produit de l’histoire semble s’être comporté comme un corps étranger, sans ancrage socioculturel. Il n’a pas su « apprivoiser la subtile alchimie entre l’histoire et la sociologie » en tant que dynamique humaine, sociopolitique et institutionnelle.  L’État apparaît dans toute sa représentation et sa réalité comme une « illusion de la perspective ».

En France, une nouvelle génération nourrie à la culture « Start-up » est aux commandes,  plus rationnelle qu’émotionnelle. Et ça sera ainsi de plus en plus.

Il serait donc temps, aujourd’hui, de puiser en nous, ici et là-bas, en harmonie avec nos solidarités régionales (Union européenne) et (CEDEAO), pour construire en confiance des relations mutuellement bénéfiques, dans une vision  de communauté de destin, condition de la paix et de la sécurité en Afrique et dans le monde.

22 juillet 2022
                             Pierre AYOUN N’DAH
                             Docteur en Droit public
                             Administrateur civil général
                             Ancien professeur à l’ENA 

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