La paix en Côte d'IvoireHISTOIRE 

Côte d’Ivoire : l’entourage des gouvernants depuis 1960

 Le champ de l’exercice porte sur l’entourage des gouvernants locaux et nationaux en Côte d’Ivoire depuis1960, l’année de l’accession à l’indépendance. Malgré toute la différence de degré de responsabilité lié au rapport avec l’espace territorial, ceux-ci présentent globalement les mêmes aspects, en raison la culture traditionnelle et sociopolitique commune.

L’entourage des gouvernants en Côte d’Ivoire

L’observation part donc du maire au Président de la République, en passant par le Président de Conseil général, le Ministre, le Premier ministre, le p Président d’institution et le Vice-Président de la République.

Une remarque préliminaire. Tous sont attachés à la communication mais ne paraissent pas accorder à ce secteur une priorité institutionnelle.
Au demeurant, le protocole ne semble non plus concrètement formalisé et opérationnel. Quant au secteur de la documentation et des archives, ensemble constitutif de la cinquième roue de la charrette, il est tout simplement négligées sinon ignoré, à des niveaux insoupçonnables et parfois insoutenables. C’est dans ce contexte structuro-organisationnel que les dirigeants des institutions locales et nationales ivoiriennes s’entourent de collaborateurs pour mener à bien leurs missions.

D’emblée faut-il le relever, la gestion locale est particulièrement caractérisée par l’informel et la personnalisation voire la personnification du pouvoir. Le contexte socioculturel holiste ou holistique favorise ou renforce cette tendance. La gestion locale peut donc difficilement faire l’objet d’une investigation rationnelle, avant la création et la mise en œuvre effective d’une Fonction publique territoriale.
La gouvernance nationale constitue donc un champ d’observation plus significatif et intéressant pour des raisons à la fois institutionnelles, socioculturelles et historiques.

En réalité, plutôt que « l’entourage », il conviendrait certainement mieux de parler des « entourages » des gouvernants. En effet, ici comme ailleurs, sous d’autres latitudes, il s’agit d’un groupe de personnes, des  » conseillers », formant généralement une nébuleuse aux contours naturellement insaisissables. Il y a des conseillers officiels, juridiquement nommés et ceux officieux, informels, du soir, les « conseillers de l’ombre » et tant d’autres personnes d’influence. Au sommet de la hiérarchie des conseillers se trouvent les sherpas. Le sherpa (guide de haute montagne dans l’Himalaya) a, de fait, l’entière confiance du leader auquel il a un accès direct. Il est un homme (ou une femme) d’expérience et d’expertise respecté, admiré et souvent redouté par l’ensemble des collaborateurs.

Normalement, tout dirigeant d’institution dispose d’un cadre structurel formel composé de trois pôles, un trépied. Il s’agit respectivement des pôles :
– politique (Cabinet, entourage immédiat, attention à l’environnement sociopolitique, etc.);
– éthique et déontologique (Inspection, contrôle, évaluation, etc.);
– managérial (Secrétariat général, gestion, production, opérationnalisation, etc.) .
La conjonction harmonieuse des activités des trois pôles est absolument nécessaire, indispensable même pour pouvoir produire les résultats attendus.

Depuis 1960, année de l’accession à l’indépendance du pays, comment se présente le tableau synoptique ? En deux temps : la stature du Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY et le parti unique d’une part et, d’autre part le multipartisme et l’apprentissage laborieux de la démocratie ainsi que la prise en otage de l’État et des collectivités territoriales par les partis et groupements politiques.

Comme une parenthèse, pendant la transition militaro-civile consécutive au coup d’État de décembre 1999, l’entourage du général Robert Gueï fut composé d’éléments si hétéroclites animés de méfiance généralisée avec un risque permanent d’implosion ! Il se trouvait dans une atmosphère visible de survie.

Dans l’analyse des pouvoirs institutionnels, ce qui caractérise l’entourage du Président HOUPHOUËT-BOIGNY, en exercice de 1960 à 1993, c’est une confiance placée en ses conseillers étrangers, notamment Français dans son cabinet et les services rattachés. On peut ainsi mentionner le Directeur de cabinet, le Secrétaire général du gouvernement, le chef du Secrétariat particulier, le Secrétariat du Conseil des ministres, etc. Il en était de même des conseillers principaux.

Au passage, le Directeur de Cabinet du Président HOUPHOUËT-BOIGNY était un mécène, grand soutien de l’art et de la culture admiré pour sa légendaire discrétion. Il était appelé officiellement et affectueusement  » Monsieur Le Gouverneur Guy NAIRAY ». Un important quartier de Gagnoa, dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire où il fut gouverneur juste avant l’indépendance, porte son illustre nom  » NAIRAYVILLE ».

Du fait du parti unique, le Président HOUPHOUËT incarnait la personnification de l’État dans son absolue représentation.  Le Président Philippe YACÉ, alors Secrétaire général du PDCI-RDA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement Démocratique Africain) et Président de l’Assemblée nationale déclarait :  » Toutes les institutions de l’État prennent leur inspiration dans la même source : le PDCI-RDA « .

Par conséquent, le Président HOUPHOUËT, Président du PDCI-RDA, Président de la République, Chef de l’État incarnait l’unité nationale, la stabilité des institutions, la prospérité générale et le rayonnement international. Cette représentation chargée d’une  » mystique messianique  » avait besoin d’être soutenue solidement et profondément par un cadre conceptuel cohérent et significatif.

Ainsi, dans le prolongement des conseillers de la Présidence de la République officiaient des conseillers tout aussi influents dans les ministères et les institutions de L’État ainsi qu’auprès des administrations et des entreprises publiques.

À la vérité, le système fonctionnait bien, le travail s’effectuait avec efficacité voire efficience et équité, dans un climat   d’ouverture d’esprit, avec des résultats à la satisfaction générale des populations. Les hauts responsables nationaux titulaires officiels des postes faisaient attention aux observations de ces conseillers qui, par leur accès direct au « Patron », inspiraient la crainte. Cette situation, le plus logiquement, déresponsabilisait les hauts fonctionnaires nationaux dans la gestion réelle des dossiers.

  Le Président Henri KONAN BEDIE a succédé en 1993 au Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, après la disparition de celui-ci. Il a également pris les rênes du PDCI-RDA. Le Président BEDIE s’est retrouvé à la tête de l’État avec des personnalités dont plusieurs ont été des collègues dans les gouvernements successifs jusqu’en 1977. Il en fut de même au PDCI-RDA.

Les circonstances de son accession au pouvoir ont fragilisé son parti traversé par des suspicions et des menaces et velléités de partition. En plus, l’opposition naissante était déterminée, le Président HOUPHOUËT-BOIGNY désormais absent de la scène, à s’affirmer pour marquer son territoire et prendre date pour l’avenir. Quel entourage donc dans ce contexte ?

Le Président BEDIE lui-même, est un économiste, d’une culture profonde et raffinée, digne du  » Discours de la méthode « . Esprit rationnel, il est le concepteur du BNETD (Bureau National d’Études Techniques pour le Développement), anciennement DGTX, dans les années 1970.

En traitant ses collaborateurs de « suiveurs  » à une certaine époque, le Président BEDIE en quelque sorte les invitait à entrer véritablement dans leur rôle pour l’aider à assumer sa mission au service de la nation. Il a aussi hérité du système de conseillers coopérants en nombre certes réduit, mais encore influents, surtout au ministère de l’Économie et des Finances. Ceux-ci nourrissaient dans les cabinets le processus de prise de décision d’éléments conceptuels et rappelaient souvent la nécessité de l’observance des règles et de la régularité des procédures afin d’éviter à l’État des contentieux intempestifs et contre-productifs.

Les conseillers Ivoiriens étaient recrutés parmi les hauts fonctionnaires en fonction ou à la retraite, lesquels ont pu maintenir, tant bien que mal le niveau, cependant sans la franchise, la liberté de jugement et la culture d’anticipation et d’évaluation de l’assistant technique.
Les dissensions internes au PDCI-RDA et la rivalité entre le parti et le CNB (Cercle National BEDIE) mouvement de soutien auront suscité des méfiances et suspicions. Ce climat malsain n’a pas favorisé l’existence d’entourages cohésifs, travaillant pour la même cause, dans une même vision et mission, pour un leadership commun. Le régime réduisait ainsi, insidieusement, la base socioculturelle nationale du pouvoir, avec les conséquences connues de tous.

Après la transition militaro-civile, le Président Laurent GBAGBO est élu dans des conditions très pénibles en octobre 2000. Historien et auteur, longtemps dans l’opposition puis chef de l’opposition, le Président GBAGBO l’homme politiquement le plus engagé en Côte d’Ivoire, après le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY dont il fut le challenger en octobre 1990, engageait désormais la Côte d’Ivoire. En tant qu’historien, il aurait dû se placer au-dessus de ses partisans pour mettre en avant les exigences de la gestion nationale. Son entourage composé essentiellement d’enseignants d’université et des lycées et collèges n’étaient pas immédiatement opérationnels pour une prise en main ferme de la gestion de l’État, dans le contexte sociopolitique d’alors.

De ce fait, il s’est produit un relâchement institutionnel aux risques multiples. Aussi, pour nombre de partisans l’occupation des postes pour la jouissance du pouvoir apparaissait comme l’objectif essentiel de la lutte, vraiment en-deçà des ambitions de leur leader.

Par ailleurs, pendant les 10 (dix an) de pouvoir, les animateurs des institutions constitutionnellement et légalement établies ont été malencontreusement et dangereusement débordées par l’activisme débridé « d’autorités non instituées », parfois au-delà de tout entendement ! De la sidération !  

Au surplus, les rivalités, les dissensions, les conflits d’intérêt, les luttes d’influence dans la galaxie (FPI, LMP, EDS, RPP, JEUNES PATRIOTES, etc.) ont fini par fragiliser le régime de l’intérieur, déjà attaqué de l’extérieur.

Pour le Président GBAGBO qui en parlait souvent, surtout au cours de séminaires, son entourage n’aurait pas suffisamment pris la pleine mesure de l’enjeu, des objectifs nobles au service de la nation. Son entourage aurait-il été en-deçà de ses grandes ambitions pour son pays ? Que nous réserve l’avenir avec le PPA-CI (Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire), après avoir abandonné le FPI (Front Populaire Ivoirien) créé en 1982 et reconnu en 1990, dans le cadre du retour au multipartisme.

Le Président Alassane OUATTARA accède au pouvoir à l’issue de la crise postélectorale de 2010-2011.  Ancien haut fonctionnaire international du secteur monétaire, économique et financier, il exerce un leadership hyperactif. Constamment dans la célérité, le Président OUATTARA a une longueur d’avance sur son entourage, lequel est sous pression L’ambassadeur de la République de Corée déclarait en 2011 que le Président OUATTARA est assuré d’un leadership avéré, encore faudrait-il qu’il dispose d’une administration capable de le soutenir dans sa mission et surtout d’échapper à la corruption et également qui travaille pour la population.

 Le Président lui-même, après 11 (onze) ans d’exercice du pouvoir, et à la suite de plusieurs audits ces dernières années, exige du gouvernement plus d’efforts dans la mise en œuvre des réformes, le processus de réalisation des projets et la gestion des entreprises à participation financière publique. Il entend poursuivre et approfondir le programme social du gouvernement pour améliorer constamment les conditions de vie des populations.

 Aussi faut-il le déplorer, la forme et le fond des interventions publiques de certains collaborateurs apparaissent, pour le moins, décalées par rapport à la qualité de la vision et de l’action du Président de la République Alassane OUATTARA, s’inscrivant dans une dynamique forte de modernisation, de solidarité et de prospérité. Cela semble d’autant plus paradoxal que de très hauts conseillers, emblématiques, des plus que sherpas, mondialement connus et reconnus, exerceraient actuellement au sein de l’exécutif ivoirien.

Le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix) se trouve t-il  réellement encore dans une cohésion sincère en son sein pour une collaboration confiante et fructueuse ? Les élections internes pour désigner les secrétaires départementaux et leurs conséquences, les suspicions, rivalités et « regards en corner » entre caciques du parti originel le RDR  (Rassemblement Des Républicains) et transfuges du PDCI-RDA sont à gérer avec précautions.

De toutes ces analyses, on peut avancer que l’entourage du gouvernant est porteur et diffuseur de la pensée et de la doctrine d’un leader. Le mode de transmission doit être le plus approprié possible pour d’abord retenir l’attention, mériter qu’on y accorde un intérêt et susciter l’adhésion des citoyens dans une démocratie, tout simplement.

Le pouvoir doit être régulateur et faire courageusement face aux différences.   Les acteurs publics ont ainsi la responsabilité de créer un cadre citoyen de sentiments d’appartenance, de sécurité et de solidarité où les individus et les groupes ou communautés peuvent se réaliser en fonction de leurs qualifications et talents.

Dans l’ensemble, pour obtenir des résultats probants, il faut privilégier la formation qui devra prendre en compte le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. L’un des handicaps majeurs de l’Afrique réside dans la faible valeur des efforts de conceptualisation et de conception. Nicolas Boileau affirmait au 18ème siècle, en littérature :  » Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».

Adaptée à notre époque de la réalisation et du concret soutenant le progrès et le développement, l’on peut aujourd’hui avancer :  » Ce qui se conçoit bien se formalise facilement et les matériaux pour le réaliser ou le construire se déterminent aisément. » Il est également nécessaire de procéder à un encadrement du mode de recrutement des collaborateurs en lien avec le domaine de compétences et la qualification. Cet exercice s’appuiera utilement sur le cadre organique des fonctions (COF), qui prend en compte la raison d’être, les missions et la gestion de l’environnement de la structure concernée.

Afin de consolider la République, il faut rétablir l’État dans la noblesse de sa stature, de ses missions et de ses valeurs en mettant à sa disposition des serviteurs dûment formés. Ceux-ci devraient pouvoir bénéficier de moyens appropriés et être assurés d’une sécurité morale, juridique, institutionnelle et sociale pour remplir sereinement et utilement leurs obligations vis-à-vis de la nation. Notre rapport à notre nation est d’une désincarnation affligeante, porteuse d’une espérance constamment contrariée.

Que chacun de nous entre en lui-même et s’interroge : ai-je fait mon devoir ? À nos enfants et aux générations futures, quoi leur dire demain ? Trahison des clercs ? L’histoire est un témoignage, une source d’enseignements et une responsabilité politique et morale majeure ! Sérieusement, existe-t-il vraiment une société politique en Côte d’Ivoire, formée et préparée à la gestion institutionnelle du pays ? Si elle existe, elle aura constamment démontré qu’elle ne s’élève pas au-delà des considérations d’ordre patrimonial, réductrices voire frustrantes pour l’intelligence humaine, la dignité sociale et l’équation personnelle. La monarchie républicaine, ce n’est pas seulement la descendance en ligne directe.

Le premier Président de la Côte d’Ivoire, Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, comprit très tôt que le progrès de son pays ne pouvait aller qu’avec une bonne formation des cadres. Par conséquent, il fit de l’éducation la priorité des priorités de sa politique, en investissant résolument dans les intelligences. L’éducation et la formation construisent le discernement. Déjà en 1946, au nombre de 150, de jeunes et adolescents bénéficiaient de bourses pour la France, à travers l’expédition  » COMPAGNONS AVENTURE 46″. Mais la démocratie, par l’expression honnête, objective, courtoise et assertive ne ferait-elle pas partie du progrès socio-économique et culturel ? Tout comme le développement institutionnel ?

Et si on formait des bâtisseurs institutionnels, une élite, pouvant justifier d’une qualification d’ingénierie institutionnelle, afin de servir dans les cabinets pour promouvoir un État moderne ? C’est un bon État, institutionnalisé, respectueux du droit et de l’éthique qui peut garantir l’équilibre durable et l’avenir serein d’une nation rassemblée autour d’un idéal commun.

Le général De GAULLE qui portait un idéal chevaleresque et un esprit de sacerdoce du service de l’État, qui cependant n’exclut pas la récompense méritée, affirmait :  » On peut certes gouverner avec des amis (comprendre des compagnons politiques), mais on administre et on gère toujours avec des compétences ».

Au-delà de la fonction, le service de l’État est une charge et une dignité, une exaltante exigence. C’est une onction que de pouvoir prendre part à l’œuvre de construction nationale. Chaque échéance électorale ne devrait plus être appréhendée comme une incertitude. Pour la Côte d’Ivoire, l’engagement déterminé de chaque acteur public (conseiller, directeur, ministre, président, etc.) s’impose pour mettre fin au cycle de violence enclenché depuis trois décennies, inquiétant pour le pays et traumatisant pour les populations, qui ont besoin d’être rassurées, pour pouvoir vivre dans la quiétude.

10 août 2022
                               Pierre AYOUN N’DAH
                               Docteur en Droit public
                           Ancien professeur à l’ENA 

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